- Matière noire et Énergie noire: https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/question-de-la-semaine-qu-est-ce-que-la-matiere-noire-et-l-energie-noire_121127
MATIÈRE NOIRE.
La matière, tout le monde voit ce que c'est. Elle est constituée d'atomes de différentes natures qui, assemblés entre eux, composent tous les éléments solides, liquides, gazeux ou plasmatiques qui constituent l'Univers. Ces éléments, visibles ou invisibles à nos yeux par les rayonnements qu'ils émettent, ont une masse qu'il est possible de calculer, et qui exerce une force d'attraction gravitationnelle autour d'elle. Une force infime à l'échelle d'un objet, importante quand cette masse est celle d'une planète ou d'une étoile, colossale lorsqu'il s'agit d'un trou noir. Et c'est justement par le calcul de masse et d'attraction gravitationnelle que les astrophysiciens se sont aperçus de la présence d'une "anomalie".
A l'origine de la matière noire, une proposition de l'astronome Fritz Zwicky
Une observation étrange réalisée en 1933 par l'astronome suisse Fritz Zwicky qui avait braqué son télescope vers un amas de galaxies dans l'espoir d'observer des explosions de supernovae. Ce dernier avait alors eu la surprise de constater que les galaxies se déplaçaient à une vitesse de plus d'un million de km/h. Une vitesse si spectaculaire qu'elle devrait théoriquement éjecter les galaxies de l'amas qui les contient si l'on prend en compte la force d'attraction exercée par la matière visible des régions centrales. Pourtant, elles y demeurent en place. Comment expliquer ce paradoxe ? Fritz Zwicky propose une explication simple : pour expliquer cette attraction gravitationnelle plus importante capable de maintenir les galaxies proches les unes des autres, il doit donc y avoir une masse de matière "cachée" plus importante que celle que l'on peut observer avec nos instruments. Il avance alors le terme de "matière noire" pour décrire cet élément mystérieux. En 1970, l'astronome américaine Vera Rubin confirme cette observation et la précise. D'après ses calculs, il manquerait jusqu'à dix fois la masse visible pour retenir ces galaxies.
Mais depuis, les astrophysiciens cherchent, en vain pour le moment, à détecter cette mystérieuse matière noire sous toutes les formes possibles et d'en déterminer la nature.
Le point commun entre matière noire et énergie noire ? La couleur qu'on leur prête !
Et l'énergie noire là dedans ? S'agit-il de la même chose ? De l'attraction gravitationnelle exercée par la matière noire ? Pas du tout. Le seul point commun entre matière noire et énergie noire est que ce terme "noire" dont le sens est voisin. Quelque chose d'invisible dans le noir de l'espace par nos télescopes, et qui exerce une force dont on peut constater les effets sans en trouver la source et en connaître la véritable nature. Si la matière noire a été invoquée pour expliquer le fait que des galaxies demeurent proches les unes des autres, l'énergie noire est elle invoquée pour expliquer le fait que l'Univers soit en expansion.
En effet, depuis les observations de l'astrophysicien américain Edwin Hubble, dans les années 1930, on sait que les étoiles et les galaxies s'éloignent petit à petit les unes des autres, signe que notre Univers se dilate comme un ballon que l'on gonflerait. Or, si l'on suppose que la force principale qui s'exerce sur les astres massifs (planètes, étoiles, trou noirs...) est la gravitation, cette expansion de l'Univers devrait se ralentir petit à petit sous son effet. En effet, la gravitation est une force attractive ayant pour effet de rapprocher les masses les unes des autres et non de les éloigner. Pourtant... vers la fin des années 1990, les astrophysiciens constatent en réalité que l'expansion de l'Univers ne se fait pas à vitesse constante... elle s'accélère ! Une découverte récompensée d'un prix Nobel en 2011 (S. Perlmutter, B. Schmidt et A. Riess). Là encore, les astrophysiciens ne parvenant pas à expliquer cet état de fait, ont imaginé la présence d'une "énergie noire" qui contrebalance les effets de l'attraction gravitationnelle, voire qui les inverse. Une énergie "dont on ne connaît pour l'instant pas grand chose" reconnaît l'astrophysicien Roland Lehoucq.
Quelle est leur proportion réciproque dans l'Univers ? Seuls des calculs théoriques permettent de répondre à cette question. Les chiffres avancés actuellement estiment que l'énergie noire représente les 2/3 de notre Univers tandis que la matière noire n'en représenterait qu'un peu plus de 25%. "La conséquence des travaux des astrophysiciens du 20e siècle est que 95% du contenu énergétique et massif de l'Univers se présente sous une forme qu'ils déclarent 'noire' et qui en fait est incompréhensible pour l'instant" conclut Roland Lehoucq.
[Roland Lehoucq] Les idées noires de la physique
- Les platistes: https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/qui-sont-les-croyants-de-la-terre-plate
Malgré les avancées en mathématiques et astronomie au fil des siècles, l’idée d’une Terre plate persiste, notamment dans l’Europe médiévale. Contredire ce fait biblique est une hérésie punissable de mort. Avec le temps, la science et la société sont passées au modèle sphérique de la Terre, mais le mythe n’a pas disparu pour autant.
Un mythe toujours d’actualité.
Bien que nous ayons les preuves mathématiques, physiques et même photographiques de la sphéricité de notre planète, le mythe reste tenace. Alors pour ceux qui ont du mal à imaginer la Terre plate, pensez à une carte du monde, un planisphère, posé sur une pizza. Au centre, nous avons l’équivalent du pôle Nord, l’Arctique. tandis que de le pôle Sud lui est le contour. D’ailleurs pour les "croyants" de la Terre plate, la calotte glaciaire antarctique forme une grande barrière de glace sur les contours du disque-monde pour empêcher l’eau des océans de couler. Au dessus de ce disque, une sorte de dôme, certains font l’analogie avec une cloche à fromage, dans lequel tous les astres tournent au dessus. Je vous vois déjà grimacer et vous poser des questions : “comment expliquer le jour et la nuit ou les cycles lunaires”… Taratata ! Ils ont réponse à tout.
Les “platistes” comme on les appelle, ne se contentent pas de croire en une simple vue de l’esprit. Eux, ils confrontent la science, ils fabriquent leurs preuves et se voient comme les Copernic du XXIe siècle ! Attention, ils ne sont pas tous à mettre dans le même panier, car il y a des divergences, allant des croyances ésotériques au complot mondial, incluant des extraterrestres ou encore des interprétations coraniques alambiquées.
Problème: Si l'univers est pour l'essentiel encore incompréhensible pour nous, comment peut-on échapper aux théories totalement délirantes?
Introduction : réflexion sur l’astrologie (diff de l’astronomie)
a) Science et superstition
Dans l’Avenir d’une Illusion, Freud s’étonne d’un paradoxe: les sciences aujourd’hui expliquent de mieux en mieux les phénomènes et grâce à leurs applications techniques, elles nous permettent de maîtriser de mieux en mieux la nature. Or, le principe des bases des sciences c’est celui du déterminisme à savoir l’affirmation que tous les phénomènes sans exception obéissent à des lois et donc que rien n’échappe à la raison, que tout peut être expliqué. Autrement dit, il n’y a rien qui soit surnaturel, inexplicable, qui échappe aux lois de la nature.
Or ce qui est paradoxal, c’est que ce qui caractérise également le XXe siècle, c’est un progrès de la religion, le fait, plus précisément, que de plus en plus d’hommes ne vont pas s’en tenir à leur raison, à l’explication rationnelle de la nature, mais à leur foi.
En clair, on va opposer à l’explication rationnelle une interprétation totalement irrationnelle, délirante, du monde. Et c’est précisément cela qu’on appelle la superstition. Comment la caractériser ?
b) Exemple de superstition : l’astrologie
Croire en l’astrologie c’est être persuadé que son caractère, ses pensées, ses comportements, ses humeurs sont déterminées par la position des astres. Et l’astrologie se présente comme une science. Et justement il s’agit de la démasquer, de la démystifier, de montrer que derrière ses prétentions scientifiques, il n’y a rien d’autre qu’une manipulation. L’astrologie prétend s’appuyer sur trois principes fondamentaux de la science :
Le premier principe c’est la loi de Newton, qui veut que tout corps exerce sur un autre corps une force qui est inversement proportionnelle à sa masse, et cette force est d’autant plus grande que le corps est massif et proche.
Deuxième principe scientifique : L’universalité des lois. le corps humain est composé des mêmes éléments chimiques que la terre. La conséquence c’est que les mêmes causes provoquant les mêmes effets, de même que les surfaces maritimes sont attirées par la lune et les astres célestes, de même les liquides du corps humains vont être attirés par ces mêmes astres. En clair, il y a comme des marées en nous.
Troisième principe : le matérialisme. L’esprit n’est pas une entité magique ou mystérieuse mais il est composé d’éléments matériels. Donc, les mouvements du corps ont des répercussions directes sur notre esprit. Voilà pourquoi les troubles somatiques peuvent apporter des troubles psychologiques. De même, les troubles psychologiques peuvent avoir des effets sur le corps. L’esprit et le corps ne sont pas deux entités séparées mais ils sont indissociables et interagissent. En fin de compte, si les astres exercent une force sur notre corps, ils déterminent ce faisant nos états d’âme.
-Conséquence: Il faut donc prendre soin à connaître la position des astres pour connaître la signification que cette position a sur nos humeurs, nos pensées etc. C’est ainsi que les soirs de pleine lune, on observe une augmentation des naissances dans les maternités, du taux de délinquance dans les rues, les cheveux poussent plus vite, etc. etc. Or, toutes ces propositions sont absolument absurdes. Pourquoi ? Simplement, parce que dans le ciel la lune est tout le temps pleine.
- Critique de l’astrologie :
Il est certain que les corps exercent une force les uns sur les autres mais si on s’en tient à la loi de Newton et qu’on mesure la force exercée par la lune ou n’importe quel astre sur mon corps, le résultat est infiniment proche de 0. En outre, les astrologues prétendent étudier le ciel alors qu’ils ont une carte du ciel qui date de l’Antiquité romaine. En clair, sous couvert d’un discours pseudo-scientifique, l’astrologue cherche uniquement à nous influencer, nous manipuler, à s’assurer un pouvoir sur nous. L’astrologie n’est pas une science, c’est juste un moyen inventé par certains hommes pour acquérir de la notoriété, de l’argent.
Il faut dès lors distinguer clairement astrologie et astronomie. L’astrologie repose uniquement sur la superstition alors que l’astronomie repose sur la raison. L’astrologie repose sur une interprétation totalement absurde de la nature alors que l’astronomie, quant à elle, est une explication rationnelle de la nature.
c) Comment distinguer interprétation et explication ?
- Expliquer, c’est donner la cause d’un phénomène. Par exemple, comment expliquer que le métal se dilate ? C’est parce qu’il est chauffé.
- En revanche, interpréter c’est chercher à comprendre quelque chose pour lequel il n’y a pas d’explication, quelque chose pour lequel il n’y a pas de cause : qu’est-ce qui fait qu’une personne est comme elle est ? Il n’y a pas de réponse concrète. Interpréter c’est chercher à comprendre ce pour quoi il n’y a pas d’explication. Il faut trouver un sens, mais notre interprétation dépendra de notre subjectivité et sera donc nécessairement plurielle.
Or, toute la question qui se posera c’est : “peut-on s’en tenir pour connaître le réel uniquement à une explication rationnelle ?” Ou bien, est-ce qu’il n’y a pas certains phénomènes qui échappent à toute explication rationnelle ? Par exemple, l’existence de Dieu, l’esprit humain, la liberté de l’homme. Ou bien faut-il dire que ces réalités qui définissent l’humanité même de l’homme ne sont que des fruits de l’imagination c’est-à-dire simplement des superstitions ? Avant de répondre à ces questions, il faut commencer par critiquer la superstition.
I) Science et expérience
1- Critique de la superstition: Spinoza - Traité Théologico-Politique
Spinoza va réfléchir sur la superstition. La principale cause de la superstition pour lui, c’est l’impuissance : plus précisément, les hommes ne maitrisent pas leur existence, ni les évènements qui leur arrivent. Et il leur arrive énormément de choses contre leur volonté. Les hommes se sentent donc totalement impuissants, désorientés. Ils ne savent plus que faire, ne savent plus à quels saints se vouer, et ils vont s’accrocher à ce qu’ils peuvent.
Ce faisant, comme on se sent perdu, on va chercher des signes dans la nature, comme si la nature s’occupait de nous et nous parlait. Et donc le superstitieux va inventer des liens de cause à effet entre des évènements qui n’ont aucun rapport pour se rassurer, pour avoir une prise sur les évènements.
En un mot, le superstitieux c’est celui qui délire, celui qui va être aveuglé par ses désirs au point qu’il ne verra plus les choses telles qu’elles sont. Et dans sa folie, il va présupposer, préjuger, que la nature est aussi folle que lui, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de loi dans la nature, qu’il y a des phénomènes paranormaux, irrationnels.
Tout le problème ce n’est pas tant que les hommes ignorent les véritables lois de la nature que le fait que certaines personnes vont profiter de leur ignorance, jouer sur leurs peurs, leurs désirs pour mieux les manipuler. Effectivement ces personnes vont se présenter comme des intermédiaires entre les hommes et les forces de la nature. Ils vont faire croire qu’ils ont le pouvoir d’intervenir, d’intercéder en notre faveur et comme on est crédule on va les croire, on va les suivre aveuglèment.
Et donc, ces personnes ont tout intérêt à ce que les hommes restent dans l’ignorance, dans les ténèbres de la superstition, car tant qu’ils sont perdus dans le noir, les hommes ont besoin d’être guidés, ont besoin de quelqu’un qui leur apporte la lumière.
Dès lors, tout l’intérêt de cette réflexion sur la superstition c’est d’inviter les hommes à apprendre à penser par eux-mêmes pour se libérer de toute forme d’aliénation et de manipulation. En ce sens, l'enjeu de la science ce n'est pas seulement de connaitre rationnellement les lois de la nature, c'est aussi et surtout de libérer les hommes de l'obscurantisme.
2- La démarche empirique/inductive : l’expérience au cœur de la science
a) L'exemple des corbeaux
Spontanément, on est persuadé que pour arriver à la vérité en science, il faut partir de l’expérience. Plus précisément, de l’observation : le scientifique ne va pas s’en tenir à son expérience quotidienne des choses parce que dans ce cas il ne pourrait être que trompé. Ce n’est pas parce que je vois une chose une fois que je pourrai en tirer une loi. En fait, il faut multiplier les observations et les réaliser dans les conditions les plus variées possibles. Et si l’observation se répète à l’identique, on va pouvoir induire c’est-à-dire généraliser les observations, passer des cas particuliers à une loi.
Par exemple, je sors du lycée et j’observe un corbeau noir, de cette seule observation je ne peux pas induire une loi. Je multiplie mes observations en dehors du lycée, en dehors du Sénégal, en bord de mer, en haut de l’Everest et à partir de là je peux généraliser et trouver une loi : tous les corbeaux sont noirs. Donc, la loi est un énoncé à caractère universel, c’est-à-dire, valable pour tous les cas.
A partir de cette loi, on peut faire des prévisions : je prévois que tous les corbeaux seront noirs, et chaque fois que je vois un corbeau noir, c’est une confirmation de cette loi. Voilà pourquoi, l’expérience est au cœur de la démarche scientifique : la science part de l’expérience, elle reste en permanence attentive à l’expérience et finit par l’expérience.
Tant qu’on n’a pas observé on ne peut pas savoir. Et donc, la vérité c’est ce qui peut être vérifié empiriquement (par l’expérience). Dès lors, la vérité se définit comme ce qui correspond à la réalité, comme ce qui est en adéquation avec la réalité. Par exemple, quand je dis que la porte est fermée, ce que je dis est vrai parce que cela correspond à la réalité.
- Vérité et réalité
Il faut faire attention ici à ne pas confondre la réalité et vérité. La réalité c’est ce qui est, l’ensemble des choses. En revanche la vérité, c’est une proposition sur ce qui est, quand je dis, quand je pense quelque chose à propos d’une chose réelle.
Ce qui est vrai ne va pas dépendre de moi, de mes opinions, de mes sentiments, de ma subjectivité, mais ce qui est vrai c’est ce qui correspond à ce qui est, ce qui correspond à la réalité. Voilà pourquoi, dans la mesure où la science est un discours sur la réalité, une explication sur la réalité, elle est objective.
En clair, il faut partir d’une observation de la réalité, faire abstraction de ses sentiments, opinions, pour décrire des choses telles qu’elles sont.
b) Critique de l’inductivisme: L'exemple de la dinde
Exemple de la dinde inductiviste
«Dès le matin de son arrivée dans la ferme pour dindes, une dinde s’aperçut qu’on la nourrissait à 9 heures du matin. Toutefois, en bonne inductiviste, elle ne s’empressa pas d’en conclure quoi que ce soit. Elle attendit d’avoir observé de nombreuses fois qu’elle était nourrie à 9 heures du matin, et elle recueillit ces observations dans des circonstances fort différentes, les mercredis et jeudis, les jours chauds et les jours froids, les jours de pluie et les jours sans pluie. Chaque jour, elle ajoutait un autre énoncé d’observation à sa liste. Sa conscience inductiviste fut enfin satisfaite et elle recourut à une inférence inductive pour conclure : « Je suis toujours nourrie à 9 heures du matin. » Hélas, cette conclusion se révéla fausse d’une manière indubitable quand, une veille de Noël, au lieu de la nourrir, on lui trancha le cou.
(p. 40, Qu’est-ce que la science?, Alan Chalmers, 1990).
A travers de cet exemple, Russell remet en question la définition que l’on vient de donner de la science et va affirmer que sur la base d’observations avérées on ne peut arriver à aucune connaissance certaine. Autrement dit, l’expérience n’est pas source de vérité.
Pourquoi ? prenons l’exemple de la « dinde ». La dinde s’aperçoit en arrivant à la ferme qu’elle est nourrie a 9h. En bonne scientifique, elle se dit qu’elle ne peut pas s’appuyer sur cette seule observation pour tirer une loi. Elle va donc vérifier cette observation en multipliant les observations dans des conditions variées « mercredis et jeudis, les jours chauds et les jours froids, les jours de pluie… ». Sur la base de ce grand nombre d’observations, elle peut tirer la loi : « tous les matins à 9h, je suis nourrie ». Cette loi est vraie parce qu’elle correspond à la réalité, et grâce à elle, la dinde peut même faire des prévisions toutes remplies de succès jusqu’au jour de Noël où on lui tranche le cou.
En clair, si je pars uniquement d’expériences, d’observations, je suis incapable d’arriver à la vérité. Hume va montrer précisément que ce n’est pas parce que le soleil s’est levé tous les matins jusqu’à présent que demain matin il se lèvera nécessairement.
L’expérience est contingente, on ne peut tirer aucune loi nécessaire à partir d’observations. En un mot, l’expérience n’est pas source de connaissance, elle ne nous enseigne rien. Mais, si on ne peut arriver à la vérité en s’appuyant sur des expériences, la démarche scientifique ne doit pas être empirique mais elle doit être rationnelle, c’est-à-dire, s’appuyer sur des raisonnements, des démonstrations, comme les mathématiques.
Voilà pourquoi, les mathématiques vont devenir le modèle des sciences, la science des sciences : il n’y a ainsi, selon Kant, de scientifique dans une science que ce qui est mathématique. Et justement la physique va devenir une science exacte, avec la révolution copernicienne, lorsqu’on a commencé à écrire les lois physiques sous formes d’équations mathématiques. En clair, on a plus besoin d’observer, il suffit de calculer.
Par exemple, avant Copernic, on s’appuyait, en astronomie, sur le modèle de Ptolémée qui, s’appuyait sur l’idée que la terre était au centre de l’univers et que tous les astres, conformément à ce que l’on peut observer chaque jour, lui tournent autour. Grâce à ce modèle, on parvenait à expliquer avec une précision infime le mouvement de la lune, du soleil et de tous les astres visibles sur la voûte céleste, à l’exception de trois ou quatre, qu’on a justement appelés les astres qui ne tournent pas rond, les planètes en grec. Quelques rares exceptions comparées aux millions d’astres observés et expliqués, c’était tout de même trop pour Copernic qui voulait un modèle explicatif universel, sans aucune exception.
Or, Copernic est mathématicien et pas du tout astronome, il ne va pas observer le ciel pour fonder sa théorie mais partir d’un postulat mathématique. Il va assimiler l’univers à un plan géométrique et chaque astre à un point dont la trajectoire décrit une courbe. A partir de ce présupposé purement mathématique, vierge de toute observation, Copernic va logiquement déduire que la terre n’est pas au centre de l’univers, qu’elle tourne autour du soleil et que, comme tout espace mathématique, l’univers est infini. De même, sans avoir besoin d’observation, on peut calculer a priori la vitesse, la masse, la position de chacun des astres par des équations mathématiques.
3- Les obstacles épistémologiques
A travers la critique de l’empirisme, on est arrivé à établir qu’autant l’expérience sensible peut être source d’erreurs autant par des calculs et des raisonnements mathématiques on peut déterminer précisément la nature des phénomènes.
Voilà pourquoi tout l’enjeu des sciences est de mettre entre parenthèse notre perception quotidienne du monde. Bachelard va parler d’obstacle d’épistémologique. On a un rapport au monde quotidien, un vécu qui détermine notre manière de percevoir les choses or dans notre vecu quotidien, notre rapport au monde est biaisé par l’aspect utilitaire des choses, la chose ne m’apparaît que dans son utilite, ce à quoi elle est bonne. Notre connaissance du monde n’est donc jamais véritable parce qu’elle toujours intéressée ; on ne s’intéresse aux objets que dans la mesure où ils nous servent et à partir du moment où la chose n’a plus d’utilité elle n’a plus de valeur pour nous.
Or ce rapport utilitaire au monde va être magique dans la mesure où on ne va pas chercher à connaître les choses en tant que telles, on va juste les utiliser comme par enchantement et le jour où elles ne marchent plus nos réactions seront irrationnelles, cela va susciter notre colère, notre énervement, ou bien on va faire appel à un marabout pour que la chose en question fonctionne à nouveau comme on le désire.
Donc, tant qu’on ne cherche pas à expliquer la cause des phénomènes, il est fatal qu’on tombe dans la superstition qui revient finalement à établir avec les choses les mêmes relations qu’on établit avec des personnes, à considérer que les choses n’obéissent pas à des lois mais sont animées d’une volonté propre et le marabout se présente comme celui qui peut influer sur la volonté des choses.
Mon expérience quotidienne du monde me trompe donc et constitue le principal obstacle à surmonter pour faire des sciences et rechercher la vérité.
Pour faire des sciences, nous dit Descartes, je dois fermer les yeux, me boucher les oreilles et me détourner de mes sens parce que les sens ne donnent accès qu’à des choses qui sont fausses et la seule véritable perception du monde, c’est celle qui fait abstraction du vécu pour s’appuyer uniquement sur des calculs. Autrement dit, les mathématiques sont les yeux à travers lesquels le réel apparaît.. Dès lors, si on veut comprendre la vérité en science, il faut réfléchir d’abord sur ce que sont les mathématiques. Or, par excellence, les mathématiques sont la science de la démonstration.
4- Réflexion sur la démonstration
a) Histoire des mathématiques
A l’origine, les mathématiques répondent a des préoccupations concrètes, à des besoins vitaux. Elles sont nées de la nécessité qu’avaient les hommes de maitriser leur environnement en mesurant l’espace, le temps et les quantités pour fixer le calendrier, calculer l’impôt, mesurer et délimiter les chants etc.
Or, Thales a révolutionné les mathématiques en comprenant qu’elles sont une science des idées, que les mathématiques ne s’appuient pas sur des observations mais sur des raisonnements.
Prenons l’exemple de la droite :
La droite tracée au tableau n’est pas une droite car premièrement, une droite est par définition infinie, or la droite tracée au tableau est toujours finie et deuxièmement, une droite, toujours par définition, est « une longueur sans largeur », or la droite tracée ne peut nous apparaitre que si elle a une largeur. Donc, la seule véritable droite, ce n’est pas celle que je peux observer sur le tableau mais c’est celle que je peux penser dans mon esprit.
Par là même, Platon va distinguer le sensible et l’intelligible pour montrer la supériorité du sensible sur l’intelligible : L’idée de la droite est, en effet, plus réelle que la droite sensible. On en déduit que la seule véritable réalité ce n’est pas celle qui est sentie ou observée mais c’est celle qui est pensée. Autrement dit, les apparences sensibles sont trompeuses et nous empêchent d’accéder à la vraie réalité qui est intelligible c'est-à-dire qui n’est accessible que par la pensée.
Par conséquent, on est arrivé à l’idée que les mathématiques sont une science de l’esprit et les objets mathématiques ne sont pas des choses que l’on peut observer mais des idées sur lesquels on peut raisonner. Dès lors, pour arriver à la vérité il faut raisonner. Et le raisonnement par excellence c’est la démonstration.
b) Démonstration: nécessité et liberté
Qu’est ce que démontrer ?
C’est considérer que l’esprit peut arriver à la vérité en s’appuyant sur ses propres lois. Autrement dit, démontrer ce n’est pas montrer. Montrer c’est faire apparaître aux yeux. Démontrer c’est faire apparaître aux yeux de l’esprit.
Autrement dit, celui à qui on a démontré quelque chose, voit clairement la vérité qui devient, pour lui comme pour moi, une évidence. La démonstration, en outre, est objective parce qu’elle est nécessaire. Dans les seconds analytiques, Aristote va précisément réfléchir sur la démonstration.
Il part du principe que connaître c’est pouvoir rendre raison d’une chose. Rendre raison c’est expliquer. C’est-à-dire donner la cause du phénomène. Or, il y a un lien nécessaire entre la cause et son effet : si je chauffe un métal il va nécessairement se dilater. Dès lors, une connaissance vraie se reconnaît à cette même nécessité. Et justement démontrer c’est partir d’une évidence et déduire nécessairement une vérité qui suit de cette évidence. On va donc déduire de la première évidence une autre vérité nécessairement. Toute démonstration est donc un raisonnement analytique, déductif qui consiste à faire glisser une première évidence à des propositions suivantes.
Ce qui est démontré, enfin, est certain dans la mesure où n’importe qui à ma place peut comprendre ce qui est démontré. Voilà pourquoi la meilleure manière de se mettre d’accord avec quelqu’un, de le convaincre, c’est de lui démontrer ce qu’on dit. Et, à partir du moment où une proposition est démontrée, elle est universelle, tout le monde est d’accord.
Mais cette nécessité de la démonstration n’est pas contraire à la liberté de chacun puisque chacun est libre de comprendre la démonstration, il lui suffit, non pas de suivre passivement le raisonnement, mais de raisonner par lui-même. En un mot, la démonstration fait appel à la raison. Donc, si je reconnais la vérité d’une démonstration ce n’est pas parce qu’on me l’impose, que je suis contraint, mais c’est parce que j’ai compris par moi-même, parce que l’évidence s’est faite dans mon exprit. Et c’est précisément ce que Platon veut nous montrer à travers l’exemple de l’enfant dans le Ménon.
c) Exemple de la duplication de l’aire du carré
Socrate et Ménon, personnages principaux du dialogue de Platon, abordent une question : la vertu s’enseigne-t-elle ? Mais cette question est pour, Platon, l'occasion pour mettre en évidence deux éléments essentiels de sa philosophie: la ‘‘maïeutique’’ et la ‘‘réminiscence’’.
La maïeutique
Pour bien comprendre ce qu’est la maïeutique, il faut faire une brève biographie de Socrate. Sa mère est maïeuticienne c'est-à-dire sage femme. Comme tout bon athénien il va consulter l’Oracle de Delphes, la Pythie, qui a le don de connaître l’avenir. Et elle dit quelque chose d'étonnant à Socrate : "Socrate tu es le plus sage des hommes". Socrate n’en croit pas ses oreilles et tout au long de sa vie il va mener une enquête pour démontrer que la Pythie s’est trompée.
Donc il va passer sa vie dans les rues d’Athènes à interroger les gens pour précisément trouver plus sage que lui. Par exemple, il va questionner les sophistes, qui sont des maitres du savoir, des hommes politiques, des prêtres, artistes/artisans, des juges. Et il se rend compte que tous ces prétendus sages ou savants sont en réalité ignorants. Socrate ici va distinguer deux formes d’ignorance : la première c’est celle qui s’ignore elle-même, l'ignorance de ceux qui croient savoir, qui ont une opinion sur tout. Et le problème c’est que parce qu’ils croient savoir, ils ne cherchent pas véritablment à savoir. L’opinion devient donc un obstacle à la connaissance de la vérité.
Dès lors, Socrate comprend qu’il est le plus sage des hommes, non pas parce qu’il sait quelque chose mais car il sait qu’il ne sait pas. Toute la philosophie et tout l’art de Socrate c'est de faire en sorte que les personnes prennent conscience de leur ignorance à travers le dialogue. Socrate va se comparer à sa mère qui est sage-femme. De même que sa mère accouche les corps, Socrate accouche les esprits c’est-à-dire que par le dialogue, par les questionnements, il va permettre à son interlocuteur d’exprimer sa pensée, de donner naissance à ses idées. Il faut insister sur le fait que Socrate n’impose pas ses idées, il aide juste son interloctuer à penser.
Donc à travers le dialogue on ne cherche pas à avoir raison à tout prix, à imposer ses opinions. Bien au contraire, on veut libérer l’autre, faire en sorte qu’il puisse penser par lui-même. Donc, la thèse de Socrate c’est que l'on ne peut rien apprendre des autres, ce n’est pas aux autres de nous dire la vérité mais c’est à nous de la chercher, de la comprendre. La conséquence c’est que la vérité n’est jamais quelque chose qui est extérieure a soi, c’est quelque chose qu’on trouve en soi-même à la condition de faire appel a son esprit/sa raison, de ne pas etre aveuglé par ses opinions, ses émotions, ses passions ou ses préjugés. Et cela renvoie à ce qu'on appelle la réminiscence, à savoir que connaître ce n’est rien d’autre que se souvenir.
La réminiscence
Dans le Ménon, Socrate va chercher à expliquer ce qu’est la réminiscence à Ménon.
Ménon met en évidence un paradoxe : moi qui suit ignorant, comment puis-je chercher la vérité ? être ignorant c'est ne pas connaître la vérité. Or comment chercher ce que je ne connais pas ? Supposons que je la trouve, je ne pourrais pas la reconnaître car je ne la connais pas. En un mot, si je ne sais pas ce que je cherche, je ne peux pas le trouver. Et si je la connais, à quoi bon la rechercher.
Socrate va passer par un mythe pour faire comprendre ce qu’il veut dire. Le mythe de l’immortalité de l’âme. Les âmes sont éternelles et passent leur temps à naître et à mourir. Autrement dit, étant donné qu’elles ont déjà vécu mille et une vie chaque âme a déjà une connaissance de tout ce qui est. '' Connaître, savoir ce n’est donc rien d’autre que se ressouvenir ''. Et donc arriver à la vérité (alétheia) c’est sortir de l’oubli (léthé), la vérité n'est pas la connaissance de nouvelles choses mais c'est un dévoilement. Dès lors, la vérité ne se définit plus comme ce qui correspond à la réalité mais c'est ce dont on doit se souvenir en plongeant dans son esprit.
Pour justifier ce qu'il dit Socrate va demander à Ménon de faire un des enfants/esclaves qui sont dans la maison et qui n'a aucune connaissance en mathématiques et simplement en le questionnant, Socrate va faire en sorte que l'enfant trouve par lui-même la démarche à suivre pour dupliquer l'aire d'un carré.
A partir de cet exemple, on arrive à l'idée que l’esprit peut en suivant ses propres lois, propre logique arriver à établir la vérité. Autrement dit, il suffit de suivre la raison pour connaître la réalité.
Raisonnement par Récurrence - Exercice Suite est Croissante Bornée - Mathrix
e) Les limites de la démonstration.
Vérité et validité
La démonstration est donc irréfutable dans son mécanisme c’est-à-dire que si les hypothèses au départ son vraies, la conclusion sera nécessairement vraie aussi. Mais la faiblesse de la démonstration c’est que la vérité de la conclusion dépend des hypothèses de départ. Or ces hypothèses ne sont pas démontrées, d’où l’idée qu’il y a des limites à la démonstration.
Une démonstration est une suite ou un enchaînement logique de déductions: on va partir d’une première vérité et faire glisser cette vérité étape après étape. Ainsi, toute déduction a pour point de départ une première vérité, c’est-à-dire une évidence, et la conclusion n’est vraie que si la vérité/l’évidence de départ est certaine. Le problème c'est que tant qu’on n'est pas certain de la vérité de départ, la démonstration peut etre valide mais n’est peut etre pas vraie.
Déduction et intuition
Par conséquent, dans une démonstration, il y a toujours quelque chose qui est indémontré, c’est le point de départ de la démonstration, et donc pour etre sûr d’arriver à la vérité, il faudrait démontrer le point de départ, en mettant en place un nouveau raisonnement. Or, dans ce nouveau raisonnement, on partirait d'une première vérité qui elle-même serait indémontrée et qu'il faudrait à son tour démontrer et ainsi de suite à l'infini.
On appelle cela une régression à l’infini. C’est un cercle vicieux. Il y a toujours quelque chose d’incomplet dans une démonstration. Voilà pourquoi il faudra compléter la démonstration en utilisant autre chose qu’une déduction et cette autre chose c’est l’intuition.
Les géométries non-euclidiennes
Par exemple, en mathématiques, les vérités démontrées sont les théorèmes. Mais au départ de toutes ces démonstrations, il y a des évidences qui sont impossibles à démontrer. C’est ce qu’on appelle les Axiomes. Euclide dans ses éléments va déterminer les axiomes de la gémométrie.
Premièr axiome : il existe toujours une droite qui passe entre deux points.
Deuxième axiome : tout segment de droite peut être prolongé à l’infini.
Troisième axiome : à partir d’un segment, il est possible de tracer un cercle dont le centre est un des points et le rayon la longueur du segment
Quatrième axiome : tous les angles droits sont égaux entre eux.
Cinquième axiome: Supposons une droite et un point extérieur à cette droite. Il y a seulement une droite qui passera par ce point et qui sera extérieure à cette droite.
Ces axiomes sont les vérités de base de la géométrie, on ne peut pas les démontrer mais tous les mathématiciens les acceptent car elles sont évidentes. Au XIXe siècle, cependant, certains mathématiciens vont refuser le 5e axiome qui n'a pas l'évidence des quatre premiers, et réaliser qu’on peut construire des géométries totalement différentes de celle d’euclide mais toutes aussi cohérentes et valides et en ce sens « vraies ». C'est ce qu'on va appeler les géométries non euclidiennes et qui sont utilisées, par exemple, dans la théorie de la relativité d'Einstein.
Par conséquent, on est arrivé à l’idée que la démonstration ne peut pas suffire pour arriver à la vérité et c'est ce que l'on va confirmer en critiquant l'argument ontologique qui est la principale démonstration utilisée pour démontreer l'existence de Dieu.
La démonstration de l’existence de Dieu et l’argument des 100 thalers
Supposons qu’on me donne un triangle, immédiatement je sais que la somme des trois angles sera égale à 180°. Donc en pensant la nature, l’être du triangle, je peux déduire logiquement ses propriétés et l’argument ontologique c’est de dire que, de même que je peux déduire que la somme des trois angles d’un triangle est égale a 180º quand je pense à un triangle, de même quand je pense à Dieu je peux déduire logiquement qu’il existe. Autrement dit, l’existence est une propriété de Dieu. On peut donc rationnellement démontrer que Dieu existe, il ne s'agit donc pas de foi aveugle ni de credo absurde mais de connaissance certaine selon Saint Anselme.
Donc l’existence est une propriété que l’on peut déduire logiquement rationnellement de l’essence/de la nature de Dieu, plus précisément, de son concept. Or, Kant va critiquer cet argument ontologique. C’est l’argument des Cent Thalers.
Supposons que je pense à Cent Thalers, je peux déduire logiquement tout ce que je peux faire avec cet argent : acheter un nouveau vélo, des nouveaux jeux pour ma console, etc. en clair, je peux déduire toutes les propriétés du concept. Mais, ce n’est pas parce que je pense aux Cent Thalers que je suis riche. Autrement dit la pensée d’une chose ne nous donne aucune indication sur son existence. L’existence n’est pas une propriété de la chose. Et donc dire qu’une chose existe c’est dire qu’elle est présente ici et maintenant, qu'elle est donnée aux sensations.
Voilà pourquoi aucune démonstration ne peut jamais me prouver qu’une chose existe ou pas. On ne peut donc pas démontrer que Dieu existe ou qu’il n’existe pas. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire ce qu’il veut.
Par conséquent, les sciences ne peuvent pas seulement s’appuyer sur des démonstrations, car leurs résultats seraient certes valides au point de vue logique mais pas forcément vrais. Ce ne serait que des hypothèses. Voilà pourquoi, il faut faire appel à l’expérience pour confirmer ou infirmer ces hypothèses théoriques. Il faut donc mettre en place un dialogue permanent entre théorie et expérience pour arriver à la vérité et c’est ce que l’on appelle la démarche expérimentale.
a) Le lapin de Claude Bernard
Claude Bernard est un médecin qui va réfléchir sur la démarche scientifique et il va se rendre compte qu’il est absurde d’opposer théorie et expérience. Le point de départ de la science n’est ni une théorie, ni une expérience mais c’est un problème. Qu’est-ce qu’un problème ? Un problème c’est l’opposition entre une théorie scientifique considérée comme vraie et une observation qui semble la contredire.
Claude Bernard prend un exemple concret : un jour qu’il était dans son laboratoire, il a observé que l’urine des lapins attaquait le béton des tables de laboratoire. En quoi est-ce un problème et non pas d’une simple observation? Parce qu’une telle observation ne prend sens que pour une personne qui dispose déjà de connaissances et qui sait en l’occurrence que, les lapins étant herbivores, leur urine est soit pH neutre soit basique mais, en aucun cas, elle ne devrait être acide. Donc la théorie est ce qui éclaire les observations et donc sans connaissance, on ne fait que voir les choses, on ne peut pas les observer.
Or, si l’urine attaque le béton, c’est qu’elle est acide. L’observation contredit donc la théorie. Il y a là un vrai problème. Claude Bernard va alors émettre des hypothèses, parmi lesquelles celle qu’on a peut-être oublié de leur donner à manger et que, ce faisant, les lapins ont commencé à digérer leurs propres organes. Claude Bernard va inventer des expérimentations pour tester et vérifier ses hypothèses et il réalise que sa dernière hypothèse était la bonne.
Contrairement au modèle inductiviste, dans la démarche expérimentale, c’est la théorie qui précède l’expérience. Les hypothèses et théories scientifiques ne sont nullement dérivées des faits observés, mais inventées pour les expliquer.
Mais, à la différence du modèle déductiviste, qui pensait qu'on pouvait démontrer les hypothèses scientifiques par des seuls raisonnements logiques ou mathématiques, la démarche expérimentale insiste sur le fait qu'une théorie scientifique n'est pas une abstraction mathématique mais qu'elle a besoin pour être validée de recourir à l'expérience.
Ainsi, l’expérience sert de procédé de validation de la théorie. Si on a un contre-exemple, alors, l'hypothèse est réfutée.
b) Popper et le falsificationnisme (l’expérience peut permettre à réfuter une hypothèse, mais pas à la vérifier)
Mais les expériences peuvent-elles vraiment nous dire si notre théorie est vraie (la " prouver ")?
Par exemple, supposons qu'après avoir fait mon thème astral, un astrologue prédise que j'aurai mon bac. Le fait d'avoir effectivement mon bac ne suffira pas à confirmer la vérité des hypothèses de l'astrologue et à faire de l'astrologie une science.
Autrement dit, ce n'est pas parce qu'il se produit un phénomène qu'une hypothèse avait prédit que cette hypothèse est nécessairement vraie. Dès lors, il est impossible de vérifier des hypothèses par des observations. En effet, «un résultat conforme à une prévision n'est pas une preuve de la validité de l'hypothèse » (Popper, misère de l'historicisme). Dès lors, comment distinguer les théories scientifiques d'autres types de théories ( voyance- chiromancie- astrologie, etc.), s'il ne suffit pas que les hypothèses soient vérifiées par des prédictions pour être vraies ?
En fait, ce qui va servir de critère pour distinguer les sciences exactes des fausses sciences, ce n'est pas la vérifiabilité des hypothèses mais au contraire leur falsifiabilité ( = réfutabilité).
« J'admettrai certainement qu'un système n'est scientifique que s'il est susceptible d'être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c'est la falsifiabilité [= réfutabilité] et non la vérifiabilité d'un système, qu'il faut prendre comme critère de démarcation [pour distinguer les vraies sciences des pseudo sciences].
En d'autres termes, un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience. »
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique
Les expériences apparaissent comme des "mises en examen" d'hypothèses et non plus de simples observations. Cela signifie que des faits expérimentaux peuvent réfuter une théorie, mais non, à proprement parler, la vérifier. On appellera (provisoirement) vraie une théorie qui a résisté aux tests chargés de la réfuter. Ce critère de réfutabilité (= falsifiabilité) ne permet pas seulement d'expliquer la démarche scientifique, il permet également, aux yeux de Popper, de tracer une ligne de démarcation entre les « vraies» sciences, qui se prêtent aux tests de réfutation, et les «fausses» sciences qui ne sont pas réfutables: l'astrologue trouvera toujours une explication pour montrer pourquoi ces prédictions n'étaient pas exactement conformes à la réalité. Avoir toujours raison est pour Popper le propre d'une théorie non scientifique.
La science n'est pas vraie mais au mieux vraie provisoirement.
Donc, dans la démarche scientifique, on ne " prouve " pas les théories. Dans le meilleur des cas, on les réfute. Ainsi, le progrès scientifique consiste à s’apercevoir des erreurs et non à accumuler des certitudes. Une théorie non falsifiée n’est pas " vraie ", ou, si elle est vraie, elle ne l’est que provisoirement. Une théorie qui passe victorieusement les tests expérimentaux est dite confirmée ou bien corroborée. Les théories scientifiques sont des hypothèses, ie, des essais ou tentatives d'explication du monde.
Expérience des fentes de Young
Dès lors, on peut se demander à quel réel a affaire la science. Peut-on jamais avoir affaire au réel tel qu’il est ? Pouvons-nous jamais connaître le monde en soi, si même la science, supposée être la connaissance la plus objective et la mieux fondée, ne le peut pas ? La science et ses théories ne seraient-elles pas alors seulement des conventions qui nous permettent de parler commodément du monde ?
c) L'instrumentalisme: vérité et commodité
Pour Poincaré, dans La science et l’hypothèse, ce qui importe, ce n’est pas la vérité des théories, mais la cohérence de leur interprétation et la réussite des prédictions qu’elles permettent. Une loi ou une théorie scientifique n’est qu’un langage commode pour rendre compte de l’expérience. C’est un instrument utile, en tant qu’il permet des explications et des prédictions, mais on ne se prononce pas sur la réalité des choses en elles-mêmes. On appelle cette position philosophique le conventionnalisme ou encore l'instrumentalisme.
Exemple :
(1) le géocentrisme soutient que le soleil tourne autour de la terre, que la terre ne se meut pas
(2) L’héliocentrisme soutient que la terre se meut, et tourne autour du soleil
(1) n’est pas " faux " ; c’est une interprétation du mouvement apparent (observable) des planètes. Elle est tout à fait cohérente, car elle est en accord avec les données observables, et elle permet des prédictions concernant la trajectoire des planètes, les éclipses, etc.
(2) est une autre interprétation cohérente des mêmes données, qui permet également des prédictions.
Si on préfère (2) à (1), c’est parce que (2) permet de faire plus de prédictions : elle est plus efficace que (1), mais pas plus " vraie ", car cela voudrait dire qu’elle décrit comment est le monde. On rejoint ici Quine, pour qui le critère de choix des théories est un critère, non pas de vérité objective, mais de commodité.
La science ne serait dès lors pas une reproduction fidèle de la réalité, mais une interprétation de la réalité.
Conclusion
La science n’est pas " vraie " au sens où elle serait une copie fidèle de la réalité (vérité-adéquation). Elle est tout autant " subjective " que l’histoire, si par subjectif on entend une reconstruction par l’homme de ce qui est décrit. La science est une construction théorique, ce qui veut dire que l’esprit de l’homme est lui-même présent dans les théories " scientifiques ": l’homme ne peut jamais connaître qu’un réel informé par sa propre pensée, son langage, sa vision du monde. Le réel en soi reste donc inaccessible.
Ce problème de la vérité scientifique est bien mis en valeur par le texte suivant d'Einstein : c'est qu'il nous est impossible de confronter directement les théories que nous bâtissons avec la réalité elle-même.
« Les concepts physiques sont des créations libres de l'esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l'effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l'homme qui essaie de comprendre le mécanisme d'une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n'a aucun moyen d'ouvrir le boîtier. S'il est ingénieux il pourra se former quelque image du mécanisme, qu'il rendra responsable de tout ce qu'il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d'expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d'une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu'à mesure que ses connaissances s'accroîtront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l'existence d'une limite idéale de la connaissance que l'esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective. »
Albert Einstein, Léopold Infeld, L'Évolution des idées en physique, Petite bibliothèque Payot, 1963, p. 34-35.
A partir de ces analyses, on peut donc dire que la vérité n’est pas le point de départ de la science mais c’est l’idéal qu'elle vise, son horizon régulateur, ce vers quoi elle tend sans jamais être certaine de pouvoir y arriver. La science ne progresse donc pas en accumulant des connaissances mais elle progresse en corrigeant ses erreurs, en dépassant ses préjugés.