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Cours de philosophie
28 mai 2019

Être ou avoir Introduction : la crise du sens a)

Être ou avoir

Introduction : la crise du sens

a)      La crise contemporaine 

 

Le monde dans lequel on vit est en crise. On a tendance à penser que la crise est seulement économique alors qu’en réalité elle est beaucoup plus profonde. On a affaire à une crise du sens. Qu’est-ce à dire ? Pour le comprendre, il faut réfléchir sur notre modèle de société uniquement tournée vers la consommation de masse. Chacun cherche le bonheur mais à travers uniquement l’acquisition et la possession de biens. Autrement dit, on pense qu’il suffit d’avoir des biens pour être bien. Voilà pourquoi toute notre existence se résume à avoir encore et toujours plus d’argent. L’argent devient l’unique valeur ce qui revient à dire qu’on laisse de côté toutes les valeurs fondamentales qui devraient guider nos vies : la spiritualité, la philosophie, la connaissance de soi et du monde. Or, dans ce contexte, si on est tellement aveuglé par la quête des biens qu’on ne fait jamais l’effort de prendre conscience de soi, des autres et du monde qui nous entoure ; comment pourrait-on être heureux ? Comment revenir à l’essentiel ? 

b) La crise du sens

 

L’existence ici est synonyme de vie. Le mot « sens », quant à lui, s’entend d’une double manière : le sens d’abord, c’est la direction comme quand on parle d’un sens interdit. Ensuite, le sens c’est la signification comme quand on parle du sens d’une question.

Donc, on n’a toujours pas répondu à notre question initiale, mais on s’est rendu compte en la questionnant, qu’elle portait un double questionnement : 1° : savoir si la vie a une direction 2° savoir si la vie a une signification.

 

-          Pour la première question, la réponse est évidente : la vie a bien une direction ; on en connaît le point de départ ( = la naissance) et elle se dirige bien, de manière continue, vers un terme, vers une fin, qui est la mort. En ce sens, imaginer une vie sans fin, imaginer la vie d’un être immortel, ce serait penser un être qui serait condamné à répéter indéfiniment les mêmes actions, un être dont la vie serait purement absurde puisqu’elle ne cesserait jamais de tourner en rond.(Cf. le mythe de Sisyphe, condamné par Zeus, à rouler éternellement un rocher jusqu’au sommet d’une pente, le rocher retombant alors chaque fois au bas de la pente). 

Donc, il est nécessaire de dire que c’est la mort qui donne sens à la vie : sans la mort, la vie n’aurait pas de sens, au sens giratoire du terme ; sans elle, en effet, on ne ferait jamais que tourner en rond. Dès lors, plutôt que de fantasmer sur l’immortalité, il faut se réjouir d’être mortel, car l’immortalité aurait été synonyme pour nous de malheur absolu.

-          Donc, si c’est la mort qui donne sens à la vie, alors il faut dire que par définition, vivre c’est se mourir, et au regard de la mort que peut bien valoir une vie ? En effet, même si elle devait durer un an, dix ans, mille ans de plus, la durée de notre vie, quelle qu’elle soit, apparaît toujours comme quantité négligeable face à l’éternité qui la précède et à l’éternité qui la suit.

En d’autres termes, si c’est dans l’horizon de la mort que tout prend sens, quel peut bien être ce sens, si ce qui donne une signification à notre existence c’est qu’elle prenne fin, si le sens même du sens c’est la fin du sens : A quoi bon, alors, se signifier dans ce que l’on fait, si l’on est destiné à ne plus être ?

A cela, on pourrait répondre que cela a bien un sens de vouloir se distinguer dans la vie présente, histoire de ne pas passer pour rien. En effet, grâce à nos œuvres, qu’il s’agisse d’art, de science ou d’actes à portée politique, on se souviendra de nous dans le futur. Mais, même si notre présence aura changé le cours de l’Histoire, avec un « H » majuscule ; même si dans cent mille ans on devait encore se souvenir de mes œuvres, que seraient ces cent mille ans comparés à l’éternité où l’on m’aura oublié par la suite ? Et puis, finalement, une fois mort, que m’importe que l’on se souvienne de moi ? 

Par conséquent, mes œuvres, mes actions, ne peuvent avoir, pour moi, aucun sens puisque ce que je suis est voué irrémédiablement au néant c’est-à-dire au non-sens. N’est-il pas, dès lors, absolument insensé que de vouloir donner sens à son existence ?

 

c)       L'hédonisme

Donc, si par définition, nous devons mourir, et que notre vie est toujours beaucoup trop courte, alors on n’a pas de temps à perdre, il ne faut pas attendre d’être vieux et de faire le triste constat du : « c’est trop tard » pour réaliser qu’on est passé à côté de sa vie : il faut au contraire, ici et maintenant, jouir au maximum de la vie. En effet, puisqu’on ne peut pas vivre éternellement, au moins faisons en sorte de vivre intensément : brûlons la vie par les deux bouts, cherchons à avoir un maximum de sensations, d’émotions.

En d’autres termes, comme Don Juan, il ne faut pas se poser de questions, ni s’imposer de limites, il faut vivre dans l’immédiateté, c’est-à-dire vivre dans le plaisir de l’instant. Peu importe que la femme que je croise soit jeune ou vieille, belle ou laide, mariée ou célibataire, la seule chose qui compte c’est que je la séduise pour en tirer un maximum de plaisir.

Dès lors, si l’on veut réussir sa vie, il faut se défaire de tous les interdits moraux et sociaux, satisfaire ses passions par tous les moyens et se dire comme Calliclès que : « la vie facile, l’intempérance, la licence (..) font le bonheur ». (Gorgias de Platon)

Mais il est étrange qu’à la question : comment donner sens à son existence ? On ait finalement répondu que c’est en se faisant plaisir, en suivant ses penchants, ses instincts, en bref, en se comportant comme un animal.

Donc, cela revient à dire que la vie la plus haute, la meilleure à laquelle pourrait aspirer un homme, c’est de vivre comme le dernier des animaux. Mais suffit-il vraiment de se faire plaisir sans réfléchir, de se divertir pour s’oublier, pour s’épanouir pleinement ?

1. Le  Divertissement et l’illusion du bonheur

Se divertir c’est aujourd’hui s’amuser, se distraire et on est spontanément persuadé que c’est dans nos divertissements, dans nos loisirs, dans « le have fun » qu’on s’épanouit pleinement, qu’on est heureux. Le monde est en crise, les valeurs semblent perdues mais que m’importe pourvu que je m’éclate.

Or, à travers cette réflexion, la part d’ombre du divertissement apparaît : après des nuits à s’éclater, on a du mal à cacher ses cernes et on aura beau s’amuser autant qu’on veut un jour ou l’autre la fatigue et la lassitude s’abattront sur nous. Pour le dire de manière encore plus expressive, après l’ivresse, le mal de crâne suit de façon inéluctable et plus que de mal de crâne ici, ce qui se fait jour c’est la tristesse du dégrisement. On a toujours le vin triste et on boit toujours plus pour essayer d’oublier cette tristesse. Comment, en effet, ne pas chercher à toujours boire plus, à toujours être plus ivre, quand on réalise ce qu’est le monde et surtout quand on réalise notre condition mortelle si fragile. Car, quand on y pense bien, non seulement on n’est rien mais, à supposer même qu’on puisse avoir l’illusion de pouvoir devenir quelqu’un, on est à coup sûr voué à mourir, c’est-à-dire voué au néant.

Or, c’est précisément ce néant, que l’on va chercher à fuir dans le divertissement : Il s’agit de ne plus penser à ce qui nous angoisse, il s’agit de ne plus penser,  de nous détourner d’une réalité et d’une condition déplaisante pour chercher à être heureux malgré tout.

Par là même, le malheur dont nous parle Pascal n’est pas contingent ni temporaire, il n’est pas lié au hasard de la vie et n’a rien d’accidentel mais bien au contraire c’est un malheur constitutif de notre existence. Notre condition est celle d’un être faible, mortel, exposé à la maladie, aux soucis et plus encore à la solitude. C’est tout cela que Pascal appelle la finitude. L’homme est donc  un être si « misérable » qu’il ne peut même pas penser à sa condition et qu’il est condamné  pour supporter cette misère à tout faire pour l’oublier.

Par conséquent, on voudrait absolument être heureux, on ne vit que pour être heureux et tout le paradoxe c’est qu’on ne peut jamais être heureux car on ne peut jamais échapper à l’ennui, c’est-à-dire à la prise de conscience du néant de notre existence.

Pourtant, à travers le divertissement, on va tout faire pour essayer d’y échapper. Il faut insister ici sur le fait que le divertissement ne désigne pas seulement des activités frivoles mais que cela concerne aussi  des activités sérieuses ; plus largement le divertissement désigne toutes les actions, à travers lesquelles on s’efforce d’oublier notre condition, de ne pas penser à ce qui nous rendrait malheureux si nous le regardions en face.

Chacun s’efforce donc comme il peut de se masquer son néant, de cacher ses malheurs, Voilà pourquoi il devient aussi important de sauver les apparences, de paraître quelqu’un, de sembler heureux. Ainsi, paradoxalement, alors qu’on n’est rien, c’est dans le regard des autres qu’on va paraître important, c’est dans le regard des autres qu’on va se sentir estimer, qu’on va se sentir aimer, qu’on va se sentir exister.  Et ce sentiment va justement faire qu’on va se sentir bien. Voilà pourquoi on est si préoccupé par le fait de plaire aux autres et d’être aimé car c’est dans ce sentiment qu’on pense trouver le bonheur, qu’on pense donner un sens à ce qu’on est et à son existence. Mais ce bonheur est purement illusoire :

L’homme du divertissement ne vit pas en lui et pour lui-même mais il existe hors de lui, par rapport aux autres et ce qui l’intéresse c’est d’avoir le plus grand pouvoir possible, le plus d’argent possible, le plus de biens possibles,  non pas parce que le pouvoir, l’argent et les biens vont le rendre heureux, mais parce qu’avec ce pouvoir et cet argent il va en imposer aux autres, il va s’imposer aux autres. En bref, le pouvoir et l’argent nous mettent à l’abri de ce que nous craignons le plus, le plus profond de nos malheurs : la solitude.

Mais, pourquoi avons-nous si peur d’être malheureux ? Pourquoi avons-nous si peur de finir seul ? parce que dans la solitude il n’y a pas d’échappatoire possible, on est obligé de sortir de l’illusion qu’on se forge, qui nous aveugle et qui nous fait croire qu’on est heureux. Une fois qu’on est sorti du lycée, qu’on a fini de jouer avec ses potes, de chatter  avec ses pseudos amis, quand on se retrouve seul à seul avec soi-même. Alors les sourires s’effacent, les masques tombent et là à ce moment on peut penser à soi, à sa condition et malgré soi on prend conscience du néant, du vide existentiel  qui nous habite. Mais si l’angoisse est au cœur de notre existence quel sens y a-t-il à parler de bonheur ? Or, tous, nous désirons par-dessus tout être heureux. S’il est impossible de l’être, où nous mènent nos désirs ? Pourquoi désirer ?

 

2. Le désir comme souffrance

a) Besoin, désir et volonté: réflexion sur la négativité du désir

- Désir et besoin :

Le besoin renvoie à un manque vital, biologique et donc naturel alors que le désir va apparaître artificiel,  secondaire voire superficiel. Donc logiquement les besoins parce qu'ils sont primaires doivent toujours primer sur les désirs qui, quant à eux, sont secondaires. Or, tout le paradoxe c'est que l'homme, à la différence des animaux, est un être de désir, qu'il fait donc souvent passer la satisfaction de ses désirs avant celle de ses besoins. Dès lors, la question qui se pose c'est : Qu'est-ce qui fait qu'une chose superficielle, artificielle puisse devenir essentielle au point de définir l'homme ?

- désir et volonté :

La volonté doit être éclairée par la lumière de la raison autrement dit, la volonté est rationnelle et raisonnable.  Rationnelle dans le sens ou on peut justifier ses choix, et raisonnable parce que la volonté est toujours orientée vers la morale. En revanche, le désir est irrationnelle et déraisonnable,  il y a toujours une part sombre dans le désir, quelque chose qui nous aveugle, on ne sait pas pourquoi on désire ceci plutôt qu'autre chose. Et tout le paradoxe du désir c'est qu’alors qu'il provient du plus profond de notre être, au point que nous allons souvent nous identifier à nos désirs, ceux-ci nous échappent, sont en dehors de notre contrôle. D'où l'idée qu'il y a au plus profond de notre être, une partie sombre qu'on ignore, dont on n'est pas conscient. 

A travers ces analyses, il apparaît que le désir est fondamentalement négatif: il n'a ni la nécessité du besoin et il peut même nous empêcher de satisfaire des besoins pourtant primaires pour courir derrière de vaines chimères; en outre, il nous détourne sans raison de ce qui est bien ou juste, il nous empêche donc de suivre notre volonté. Alors pourquoi continuer à désirer?

b) L’enfer du désir

 

Si l'on continue à désirer c'est parce que spontanément, on est persuadé que pour être heureux, il faut satisfaire ses désirs et on pense même que plus on les satisfait plus le bonheur est intense. Or, Schopehnauer dans le monde comme volonté ou comme représentation, va remettre en question cette idée et nous montrer, au contraire, que désirer c’est souffrir. Pourquoi ?

Parce que désirer c’est toujours ressentir un manque c’est-à-dire une privation. On pourrait croire que le but de la vie c’est précisément de parvenir à combler ce manque, à être heureux. Or, Schopenhauer va nous démontrer que le bonheur, défini comme la pleine satisfaction de nos désirs, n’est qu’une illusion. En effet, quand on y réfléchit bien, les désirs par définition sont insatiables. Pourquoi ?

-          Parce que les désirs sont infinis et qu’on ne parvient jamais qu’à en satisfaire au mieux que quelques uns. Il y a donc un décalage entre le nombre infini de désirs insatisfaits et le peu de désirs satisfaits. En clair, au point de vue simplement quantitatif, l’insatisfaction l’emporte.

-          A partir de là, il faut reconnaitre que nos satisfactions sont non seulement très limitées mais surtout très éphémères alors que le temps de l’insatisfaction est quasi permanent.

-          En outre, on peut comparer le désir à l’hydre de l’herne : De même que quand on coupe une tête de l’hydre, aussitôt deux autres repoussent, de même chaque fois qu’un désir est comblé, aussitôt d’autres naissent ce qui laisse la place à de nouveaux manques, à de nouvelles souffrances. Il y a littéralement un côté monstrueux du désir.

-          Au total, Schopenhauer va prendre l’image du mendiant pour nous faire comprendre le caractère illusoire de toute satisfaction. Quand on donne une pièce à un mendiant, il est certes satisfait sur le moment mais en fait cela ne fait que prolonger sa misère. EN un mot, les hommes du fait même de leur condition sont condamnés au malheur. Et Schopenhauer va aller encore plus loin. Supposons, par impossible, qu’un homme puisse être pleinement satisfait, alors il serait encore plus malheureux car il tomberait dans l’ennui. En clair « la vie oscille comme un pendule de gauche à droite, de la souffrance à l’ennui ».

Donc, on a compris en quoi le bonheur n’est qu’une illusion. Pourtant, Schopenhauer va nuancer son propos et affirmer qu’il y a une possibilité, presque infime d’échapper au cercle vicieux de la souffrance et de l’ennui, à travers d’un côté la contemplation esthétique et de l’autre côté l’ascétisme. Le point commun entre ces deux choses c’est qu’on va échapper à la tyrannie des désirs, suspendre son vouloir vivre, comment ?

 - Dans l’art, dans la fascination devant la beauté qui fait qu’on va s’oublier:

La contemplation d'une oeuvre d'art nous permet donc d'échapper à la tyrannie du désir. Plus précisément, dans la perception ordinaire, les choses ne nous apparaissent que dans leur utilité, c'est-à-dire qu'elles n'existent pas pour elles-mêmes mais seulement par rapport à moi. Notre rapport immédiat au monde est donc à ce point accaparé par le moi qu'il en devient inattentif aux choses. Voilà pourquoi l'attention au moi recouvre le monde d'un voile. Et justement l'art est dévoilement, il nous met face à face avec la réalité même et, en nous rendant étranger à nos propres désirs, à notre propre moi, il nous permet d'échapper à la souffrance: il nous apaise.. 

-  Dans l’ascétisme, dans la privation qui fait qu’on cherche à s’élever spirituellement en renonçant à sa nature animale.

L'ascétisme, c'est cet effort que l'on fait pour s'arracher à ses désirs: il faut déchirer le voile de Maya, le voile de l'illusion, pour s'élever spirituellement, trouver la paix intérieure. La meilleure manière d'y accéder, c'est de retrouver la maîtrise de soi, de ne plus  rien céder à toutes les sollicitations corporelles et ainsi pouvoir développer son âme. L'ascète va donc se passer de tout ce qui est vain, toutes ces choses artificielles, superficielles dans lesquelles tant d'hommes se perdent, pour retrouver l'essentiel.

 

 

1) Le quadruple remède d'Epicure: analyse de la lettre à Ménécée.AMenecee_cumnotis__1_

intro: La nécessaire philosophie

La philosophie est une activité et comme toute activité, elle vise le bonheur. Or, pour être heureux il faut tout d'abord établir ce constat : “ nous sommes nés une fois, il n'est pas possible de naître deux fois et il faut n'être plus pour l'éternité. Pourtant, toi qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie ; la vie périt par le délai et chacun meurt affairé ” (sentence vaticane 14) c'est-à-dire que, par notre nature même, nous devons mourir et donc nous n'avons pas de temps à perdre. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut profiter n'importe comment de la vie car dans ce cas on n'atteint pas le bonheur. Donc, Epicure va nous proposer :

- une méthode : au lieu d'aller au bonheur spontanément c'est-à-dire au bonheur la chance, il faut se demander si l'on suit le bon chemin pour ne pas faire le triste constat du : “ c'est trop tard ”.

- une philosophie : pour Epicure, la philosophie doit s'effectuer dans le présent: “ En philosophie la joie est immédiate ” ( Epicure Sentences vaticanes) “ La philosophie est une activité qui par des discours et des raisonnements nous procure la vie heureuse ” (Sextus Empiricus qui cite Epicure dans Contre les mathématiciens). La philosophie n'est pas une science, c'est un rapport de soi à soi qui engendre le bonheur : “ Dans les autres occupations, une fois qu'elles ont été menées à bien avec peine, vient le fruit ; mais, en philosophie, le plaisir vient en même temps que la connaissance car ce n'est pas après avoir appris que l'on jouit du fruit mais apprendre et jouir vont ensemble ” ( Epicure Sentences vaticanes). Autrement dit il n'y a pas un moment pour philosopher et un autre moment pour vivre : la vie doit être traversée par les méditations philosophiques : “ Il faut rire et ensemble philosopher et gouverner sa maison ” (lettre à Ménécée). Et si la philosophie est nécessaire à la vie c'est qu'elle guérit : “ Philosopher c'est passer de la maladie à la santé pour être heureux ”.

Mais si la philosophie est une médecine, c'est dans la mesure où elle propose des remèdes, ce qu'Epicure appelle précisément le quadruple remède.

 1. Le premier remède : les fausses opinions sur les dieux et la religion ; nous n'avons rien à craindre des dieux.

Nous croyons que les dieux interviennent dans nos actions et par suite en sont les juges. À cause de cela nous vivons dans l'anxiété de leur plaire. Or pour Epicure, il faut arrêter toute cette mascarade car, pour lui, les dieux sont des êtres parfaits qui ne se soucient guère des affaires humaines. Ils ne réclament rien de notre part car ils n'ont absolument besoin de rien.

Epicure dénonce donc la fausse piété qui engendre les horreurs de la religion et de la superstition. Epicure s'attaque donc à la base même de la superstition et pourtant il n'est pas athée : les dieux, pour lui, vivent dans des intermondes qui nous sont inaccessibles où ils sont parfaitement heureux. En fait les dieux n'ont comme rôle que d'être les modèles explicatifs de l'éthique. Ils inspirent nos vies par ce qu'ils sont et non par ce qu'ils font, ils sont les modèles pour nous de ce qu'est l'ataraxie et le bonheur absolus puisque : “ nous avons à vivre comme des dieux parmi les hommes ”.

 

 

2. Le deuxième remède : “ La mort n'est rien par rapport à nous ”

Nous avons d'emblée à purifier notre joie de vivre de toute crainte de la mort et cette purification est la condition négative de la mort. On entretient les hommes dans la peur des enfers, on les persuade que la mort est une chose affreuse qu'ils ont à éviter à tout prix. Epicure, au contraire, tente de nous libérer de cette crainte grâce à sa philosophie de la nature (= physique) qui stipule que tout est périssable y compris l'âme. Or, si connaître c'est sentir et que la mort est la privation de toute sensation, alors au moment où la mort advient on ne sent plus rien puisqu'on n'est plus : Ce n'est certes pas un bien mais ce n'est pas non plus un mal.

 

 

 

3. Troisième remède : La régulation des désirs.

Tout d'abord il est nécessaire de souligner que le plaisir est la norme du bien et du mal et par conséquent qu'un homme ne doit faire rien d'autre que de chercher son plaisir. Mais ici il convient de distinguer différentes origines du plaisir et donc types de désirs qui ne sont pas équivalents quant au bonheur :

a) les désirs naturels et nécessaires.

Ce sont les désirs naturels qui nous ouvrent aux plaisirs qui découlent de la satisfaction de besoins vitaux, comme manger, boire, dormir. Ces plaisirs naturels constituent l'essence même du bonheur et donc, ils sont suffisants à eux seuls pour nous rendre heureux. Tous les autres plaisirs sont non seulement superflus mais encore ils risquent d'être nuisibles au bonheur. C'est donc par la limitation de nos désirs, par un retour à la limite naturelle, que l'on parviendra au bonheur qui est la paix avec soi-même (ataraxie = absence de trouble) et avec autrui (amitié).

b) les désirs naturels et non nécessaires

Ils concernent essentiellement le désir sexuel et, en général, tous les désirs naturels dont la non-satisfaction n'est pas cause de douleur. Ici en fait, ce que critique Epicure c'est la débauche et la démesure dans les plaisirs de la chair. En effet, la nature définit par avance ce qui suffit à chaque homme : telle quantité de nourriture et l'on atteint avec assurance la satisfaction. Il suffit d'un peu d'eau pour ne plus avoir soif et être satisfait, cela ne sert donc à rien et est même nuisible pour la santé de boire plus qu'il n'est besoin sans parler du fait même de boire autre chose que de l'eau. Cela nous montre que la nature est une norme pour la vie de la mesure où elle est ce qui fixe la mesure et la limite.

c) Les désirs vains

Ce sont tous les autres désirs non naturels et en nombre illimités, que créent notamment la civilisation et les progrès techniques (le goût du luxe, l'ambition, l'avidité, etc.), qu'il faut absolument fuir si l'on veut atteindre le bonheur.

En fait, ce qu'il faut remarquer c'est que le bien pour Epicure est d'essence négative : il relève effectivement de la suppression d'un manque (boire quand on a soif) : “ Ce qui cause une joie insurpassable, c'est le grand mal que l'on vient d'éviter et cela est la nature du bien ”. “ Le bien est cela même : d'éviter le mal ”.

4. Quatrième condition du bonheur : le pouvoir de supporter la douleur.

La douleur est ainsi faite qu'au moment où je souffre énormément cela est très bref, la douleur s'annule elle-même. Et si la douleur persiste, c'est qu'elle est moins intense et donc supportable. Et ici il faut souligner qu'Epicure sait de quoi il parle puisqu'il souffrait lui-même d'une maladie extrêmement douloureuse.

En outre on peut enrayer la douleur par le souvenir de tous les biens que l'on a déjà vécus ce qui suppose que l'homme ne soit pas oublieux. En effet, pour Epicure, au moment où je me souviens d'un plaisir passé, il me rend à nouveau heureux.

 

2. Vertu et sagesse

 

On a vu que, pour Epicure, le bonheur est le but de l’existence c’est-à-dire que, par définition, tout homme cherche à être heureux or pour Épicure, le bonheur est un équilibre entre le plaisir et la raison.

Pour les stoïciens, en revanche, et plus particulièrement Epictète, le plaisir et la raison sont des choses totalement incompatibles parce que le plaisir est un sentimen  lié à notre sensibilité c’est-à-dire notre animalité. Faire du plaisir le critère du bonheur c’est donc réduire le bonheur à quelque chose d’animal, or être un homme c’est justement pouvoir dépasser son animalité. Voilà pourquoi, il ne faut plus définir le bonheur par rapport au plaisir mais comme le plein épanouissement de son humanité, comme ce qui constitue l’excellence de l’homme, à savoir la vertu (arété en grec)

Aujourd’hui on a une mauvaise définition de la vertu être vertueux c’est se retenir, se brimer, se brider. La vertu est uniquement vue comme privation. Pour les grecs, en revanche, la vertu c’est un maximum, ce qui constitue l'excellenece d'un être et précisément qu’est ce qui constitue l’excellence de l’homme ? C'est de développer sa raison. Plus on développe sa raison plus on est soi-même.

Rechercher le bonheur, c’est donc rechercher la vertu , c’est-à-dire développer sa raison , c’est-à-dire philosopher. Voilà pourquoi , le bonheur ne dépend ni de l’argent ni des biens matériels ni du plaisir mais il dépend d’un changement intérieur qui consiste à suivre sa raison.

 

Par conséquent, pour être heureux il ne faut pas compter ni sur la chance ni sur la possession de biens et justement, comme on l'a déjà vu, le grand problème de notre époque c’est qu’on confond ETRE BIEN et AVOIR des biens. Or, on a beau avoir tous les biens du monde on ne sera pas heureux si on n'est pas d’abord bien avec soi-même , voilà pourquoi le bonheur passe par un changement intérieur qui consiste à se CONNAITRE SOI MEME , prendre conscience de SOI, SAVOIR  que CONTRAIREMENT aux animaux notre vie ne se réduit pas au plaisir mais être un homme c’est être doué de raison.

Toute le sagesse (bonheur) consiste en un changement intérieur qui suppose de suivre sa raison et non pas ses passions.

Qu’est-ce que la passion : Spontanément  on croit que la passion c’est un élan, un désir qui nous porte et qui nous donne la force de tout accomplir (renverser les montagnes) et donc le désir semble être quelque chose de positif dans la mesure où il nous permet de nous surpasser, de nous dépasser d’aller au-delà de nous-même , or les stoïciens insistent sur l’idée que la passion est incontrôlable et surtout destructrice. En effet, la passion est toujours exclusive, on ne pense qu’à elle, on ne vit que pour elle et on a tendance à se confondre avec ses passions c’est-à-dire qu’on ne fait qu’un avec elle (cf. Phèdre de Racine). En un mot, on va se perdre dans sa passion.

Par exemple, supposons que l’on tombe amoureux, au début cet amour fait que je me sens bien, porté, je n’ai jamais été autant moi-même que quand je suis avec la personne que j’aime. Je trouve le sens de mon existence  dans sa présence, or la passion crée toujours un manque qui fait que même quand je suis avec celle que j’aime, sa présence ne me suffit plus, je veux qu’elle soit toujours là encore plus là et qu’elle porte toujours son attention sur moi. Dans la passion on va consumer l’autre, on va perdre l’autre, on va le détruire et surtout on va se perdre soi-même. Voilà pourquoi, la passion est contraire au bonheur et si on  veut réellement être heureux, il faut chercher à se libérer de toute passion, c’est ce que les stoïciens appellent apathéia = indifférence.

 

Supposons qu’on assiste à un accident on voit son meilleur ami, gisant par terre, si on cède à ses passions, à ses émotions on va adopter un mauvais comportement, on va paniquer et se précipiter donc faire n’importe quoi. Celui qui est dépassionné, indifférent c’est celui qui va rester lucide, rester conscient et faire exactement ce qu’il faut faire ou en tout cas au mieux. Dès lors, le sage c’est déjà celui qui est conscient de ce qu’il peut.  Savoir ce qu’on peut et en fonction ce de qu’on peut faire au mieux de ses capacités et aussi savoir ce que l’on veut. Et savoir ce que l'on veut justement, c'esr apprendre à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, c’est-à-dire apprendre à vouloir ce qui est et donc le stoïcien n’est pas résigné mais il apprend à connaitre les choses telles qu’elles sont pour pouvoir mieux agir dessus.

-          Supposons qu’on joue au poker, on ne peut pas choisir son jeu et si j’ai seulement une paire de 7,  je  ne dois pas faire la tête, être triste ou malheureux et conséidérer que la partie est perdue, bien au contraire, je dois jouer au mieux. C’est pareil dans la vie, quelque soi ma position, je dois faire au mieux. Perdre ou gagner, échouer ou réussir, ça ne dépend pas de moi mais bien vivre ma vie et faire tout ce qu'il m'est possible de faire, cela ne tient qu'à moi.

 

La base du stoïcisme c’est que l‘homme est donc maitre de lui-même et pour cela il faut qu’il prenne conscience de lui-même.

3. Platon et la transcendance du désir

 

 

a) L’amour et la connaissance de soi

- Transition

Si on définit l'homme comme un être de pure raison alors pour devenir pleinement soi-même, il faut exercer sa volonté, lutter contre ses désirs, lutter contre les passions. De ce fait, la vertu consiste à rester maitre de soi en toutes circonstances, âtre pleinement soi-même.  Or, comment pourrait-on être pleinement soi-même si on commence par nier une partie de soi ? En outre, celui qui passe son temps à aller contre ses pulsions, contre ses désirs, est-ce qu’il ne nie pas sa vie ?

Or si vivre c'est désirer et que le désir est l'essence de l'homme alors plutôt que de lutter contre ses désirs, il faut, selon Calliclès, dans le Gorgias de Platon, vivre pleinement, toujours désirer plus et chercher à avoir plus. Or, l'illusion propre au désir, c'est de nous faire croire que c'est dans la satisfaction qu'on va s'épanouir alors qu'on s'y perd. Pourquoi ? Parce qu'on perd toute liberté, on devient l'objet de ses désirs. Et donc, on arrive à l'idée que l’on ne doit ni aller à l'encontre de ses désirs ni se laisser aller à désirer n'importe comment. Il faut donc apprendre à maitriser ses désirs.

- La maîtrise des désirs

On peut prendre trois images de Platon pour montrer comment on pourrait allier désir et raison : 

 

 

- Le tonneau (Gorgias) : Platon compare l'âme à un tonneau. Supposons que j'aie un tonneau percé, quel que soit les efforts que je fais pour le remplir je suis condamné à l'échec. De même si mon âme est corrompue,  pervertie, quel que soient les efforts que je ferai pour satisfaire mes désirs et être heureux, mes efforts  seront vains. Voilà pourquoi de même qu'avant de chercher à remplir un tonneau, il faut commencer à en prendre soin, le réparer, pour ensuite pouvoir le remplir aisément, de même avant de satisfaire ses désirs, il faut d'abord prendre soin de son âme, il faut se connaître soi-même. La connaissance de soi est donc la condition du bonheur et une fois qu'on se connaît soi-même il devient facile d'être heureux.

 

Attelage (Phèdre) : Platon compare l'homme à un attelage composé d'un cocher et de deux chevaux ailés, un blanc un noir. Le cheval blanc est docile et il adore s’élever en revanche le cheval noir n'en fait qu'à sa tête et dès qu'il voit au sol un objet qui lui plaît, il fonce vers lui provoquant la chute de l'attelage. Platon insiste sur l'idée qu'il ne sert à rien de brimer en permanence le cheval noir parce qu'il va devenir de plus en plus rétif. En fait, il faut faire en sorte que les deux chevaux aient le même objectif. De même l'homme est un attelage composé d'une âme, d'une raison et de désirs. Il ne sert à rien de lutter en permanence contre ses désirs parce que soit on n’avance pas soit on tombe, il faut donc allier les désirs avec la raison. En clair, on ne peut pas être heureux si on commence par être ennemi avec soi-même. Pour être heureux il faut être en accord, en paix avec soi-même.

Voilier (République, I) : Dans un voilier,  c'est le pilote qui doit utiliser la force des vents et des courants pour aller là où il veut. Supposons qu'il n'y ait pas de pilote,  le bateau va être à la merci des vents et des courants, il va finir soit par sombrer soit par s'échouer. De même,  en l'homme c'est la raison qui doit être le pilote. Un homme sans raison c'est comme un bateau sans pilote donc il finit par éhouer.  C’est la raison, en nous, qui doit décider et donc il ne faut pas se laisser emporter par ses désirs. De même que le bon pilote peut décider de naviguer contre vents et marées, on peut, si on juge cela plus raisonnable, décider d'aller en l'encontre des désirs mais cela au prix d'énormément d'efforts. L'idéal, pour Platon, c’est de savoir surfer sur la vague de nos désirs pour mieux se laisser porter et aller où l'on veut.

En clair, plutôt de voir les désirs comme un obstacle qui nous empêche de nous épanouir, devenir pleinement nous mêmes, il faut voir nos désirs comme une force qui nous permet de nous dépasser, d’aller au-delà de nous même pour nous réaliser.

 

- La connaissance de soi 

 

Par conséquent, pour être heureux il faut donc savoir trouver l’harmonie, être ami avec soi-même. Mais le problème des hommes c’est qu’ils passent le temps à être en désaccord avec eux mêmes, et même pire, à s’ignorer eux mêmes. Voilà pourquoi, il est nécessaire de chercher a connaître soi-même.

Dans le Gorgias, justement, Platon va réfléchir sur ce que c’est se connaître soi-même, et il insiste sur l’idée qu’il y a une pluralité en soi. Il y a trois parties dans le soi, l'âme, le corps et tout ce qui se rapporte plus largement au soi. Ces trois éléments constituent ce que je suis. Ils sont essentiels mais ne sont pas aussi importants. L'âme est plus essentielle à la définition de soi que le corps, qui prime quant à lui sur tout ce qui se rapporte au soi ( positions sociale, métier, possessions, etc.). A chacune de ces parties, correspondent des biens qui pris ensemble constituent le bonheur.

Les biens qui correspondent à ce qui se rapporte à soi, sont les bins matériels. Les biens qui se rapportent au corps sont la santé et la forme. Dès lors, il n'y a pas à rejeter les biens matériels ni à les fuir mais comprendre que s'ils font partie du bonheur, ils sont moins essentiels que la santé et la forme, qui, eux-mêmes, passent après le bien le plus important, le souverain bien, le bien de l'âme.

Des lors, la question essentielle qu'il nous reste à examiner c’est qu’est-ce que le souverain bien ?

 Dans l'Alcibiade majeur Platon va justement chercher à répondre à cette question à travers une image: l'image de l'oeil. Platon va comparer l’âme a l’œil : l’œil c’est ce qui a la faculté de tout voir, mais qui ne peut pas se voir lui-même immédiatement. Il lui faut la médiation d’un miroir. Or, au fond de l’œil il y a justement un miroir, qui permet à celui qui me regarde en face dans les yeux de se voir lui-même. De même, l’âme a la faculté de tout connaître, mais qui ne se connaît pas elle-même, et qui ne peut se rapporter à elle même qu’a travers un miroir, quel est le miroir de l’âme ? Platon ici fait un jeu de mots : le mot grec choré, qui signifie pupille, désigne également la personne aimée.  . Autrement dit, c’est dans l’amour/amitié que l’âme s’apparaît à elle-même, qu’elle se connaît. 

Donc, le désir, sous la forme de l’amour, est essentiel pour se connaître, pour bien être soi-même/s’identifier. Le désir est donc essentiel à l’âme, c’est le bien de l’âme. Voilà pourquoi, ce n’est certainement pas en s’opposant à ses désirs qu’on peut devenir pleinement soi-même, bien au contraire, le désir c’est ce qui permettra à l’âme de se réaliser.

Par conséquent, Platon va mettre en lumière la dimension positive du désir qui dans sa négativité est ce qui permet à l'âme de s'élever. Plus précisément, Platon va utiliser un mythe pour nous faire comprendre cette ambiguïté du désir : c’est le mythe de la naissance d’Eros.

b) L'ambiguïté du désir: Le mythe de la naissance d'Eros

 

En clair, il y a une double nature du désir, il est vrai que c’est un manque d’être qui nous pousse à être insatisfait de ce qui est et de ce qu’on est mais c’et précisément cette insatisfaction qui va nous forcer à aller au-delà de ce qui est et de nous-même. Voilà pourquoi on parle de la transcendance du désir, il faut insister sur l’idée que le désir nous élève, vers l’absolu : le désir nous prend au plus bas de nous-même et nous fait gravir les échelons.

 

Le désir va se porter sur un objet ici-bas, vers ce beau corps et donc je vais aimer une personne pour la beauté de son corps : mais de l’amour de ce beau corps je vais passer à l’amour des beaux corps. Et par-delà des beaux corps, on commence à aimer les belles occupations. Des belles occupations on passe à l’amour de la science et de la connaissance. De cet amour du savoir on passe à l’amour de l’absolu, à l’amour du beau lui-même. On retient donc que le désir élève l’homme vers la spiritualité, la beauté absolue, voilà pourquoi ce n’est pas en limitant ses désirs qu’on développe sa spiritualité, bien au contraire, c’est en se laissant porter par ses désirs.

 

 

III] REFLEXION SUR LE DEVOIR : LA MORALE KANTIENNE

 

 

 

1-    La misologie et la critique de l’eudémonisme: Raison contre bonheur

Kant fait le lien entre toutes les sagesses antiques et montre qu'elles sont toutes des déclinaisons de la même thèse qui a pour dénominateur commun le lien indéfectible entre la raison et le bonheur. Epicure nous explique que pour être heureux il faut désirer raisonnablement : faire le tri entre les désirs et ne retenir que ceux qui sont nécessaires au bonheur. Les stoïciens affirment que pour être heureux il faut être raisonnable : ne pas se laisser emporter par ses désirs mais seulement pratiquer sa vertu, développer sa raison. Enfin, Platon affirme que pour être heureux il faut être raisonnable : la raison doit maitriser les désirs pour mieux se réaliser, s’épanouir. Donc tous ces auteurs ont en commun cette thèse : la raison a pour but de nous rendre heureux. Or, c'est précisément cette affirmation que Kant va remettre en question.

 1e étape : Kant va démontrer qu’il n’y a aucun rapport possible entre la raison et le bonheur puisque le bonheur est un idéal de l’imagination.

2e étape : Kant va démontrer que si on compte sur la raison pour être heureux alors on sera nécessairement déçu et on finira par haïr la raison : misologie

 

-  Le bonheur comme idéal de l’imagination

 

 Kant nous explique que le bonheur ne peut pas être un idéal, car dans ce mot il y a le terme idée (quelque chose que l’on pense, que l’on conçoit) le bonheur est avant tout une expérience, quelque chose que l’on ressent. En clair, le bonheur n’est pas abstrait mais il est de l’ordre des sentiments. Plus précisément, le bonheur n’est pas affaire de raison mais de sensation.

De ce point de vue, ce sont les expériences vécues et réelles qui déterminent à chaque instant si on est heureux, voilà pourquoi on ne peut pas parler du bonheur en général parce que cela voudrait dire qu’on a déjà tout vécu, fait toutes les expériences, or c’est impossible: on ne peut pas tout vivre et surtout cette idée qu’on se fait du bonheur est pleine d’incohérences, c'est-à-dire illogique et donc irrationnelle. Par exemple je pense que pour être heureux il faut que je sois riche, or la quête de la richesse peut me rendre malheureux. Je pense que pour être heureux je dois développer ma raison, mes connaissances. Mais peut être que savoir va me rendre encore plus conscient de ma misère etc.

En outre, on ne sait pas ce qu’il faut faire exactement pour être heureux, il n'y a pas de loi universelle et nécessaire, pas de principes absolus à suivre mais seulement des petites recettes qui marchent dans certains cas et pas dans d'autres.

Donc, on n'a pas une idée précise et exacte de ce qu’est le bonheur: On en rêve, on le fantasme, on l'imagine mais on ne sait pas clairement ce que c'est et c’est la preuve pour Kant que le bonheur n’est pas un idéal de la raison mais plutôt de l’imagination.

 

 - La misologie (Haine de la raison)

Donc le bonheur n’est pas un concept rationnel, c’est  juste un fantasme. Kant va préciser ce chiasme entre la raison et le bonheur en démontrant que, non seulement, le bonheur n'est pas affaire de raison, mais surtout, plus on suit sa raison moins on a de chance d'être heureux. Voilà pourquoi, ceux qui, tel Faust, comptent sur la raison pour arriver au bonheur, seront déçus et vont finalement haïr la raison, et cette haine de la raison c’est la misologie. 

 

Les arguments de Kant

Plus on cultive sa raison plus on s’éloigne du bonheur.

1e argument : Cultiver la raison demande énormément d’effort, d’énergie et de sacrifices pour au final gouter un minimum de satisfaction. En revanche, ceux qui se contentent de suivre leurs instincts, qui ne se posent jamais de question, sont pleinement heureux.

2e argument : La raison multiplie les besoins. Plus on développe sa raison, plus on devient exigeant et moins on peut  trouver de satisfaction dans les plaisirs bas ou vulgaires. 

3e argument : En fait, celui qui développe sa raison pour être heureux, n’a rien compris à ce qu'était la raison. Le bonheur est quelque chose d’humain, de simplement naturel. Donc chercher à être heureux c’est quelque chose de trop bas pour la raison. La raison a une destination supérieure : la dignité morale. La raison doit aider l'homme à prendre conscience de sa valeur, à savoir ce que c'est qu'être homme, pour agir en homme. En un mot, la raison doit permettre à l'homme de prendre conscience de sa valeur infinie, elle doit le rendre digne.

 

CSQ: On comprend donc que le but de la raison, c’est la morale. Or le problème c’est que ce terme de morale prête a confusion et donc avant de nous expliquer ce qu'elle est, Kant va critiquer les mauvaises manières de la concevoir

 

a)        Morale et société :

 

- Le relativisme de Protagoras ( cf. Théétète de Platon)

Protagoras est le père du relativisme, il considère qu’il n’y a pas de valeur absolu, pas de vérité, mais il n’y a que des opinions subjectives, variables, relatives. Par exemple : il est absurde de vouloir imposer à tous les hommes les mêmes valeurs, dans la mesure où, en fonction de la société où l’on vit, il y a des différences, des spécificités qui font qu’on va valoriser telle et telle chose et pas telle autre. En clair, la moralité d’une action n’est pas quelque chose qui est déterminable objectivement. Je suis déterminé à avoir les valeurs qu’on m'a inculquée : de même que quand je grandis en Grèce je parle grec sans pouvoir dire pour autant qui m'a enseigné cette langue, de même par imprégnation, j’incorpore les valeurs de la société et cette inculcation des valeurs est l’œuvre de toute la société à laquelle j'appartiens dans son ensemble. Les valeurs morales sont purement relatives, c'est-à-dire variables d’une société à l’autre.

-          Le déterminisme social de Durkheim

Durkheim va démontrer que chaque individu est déterminé par son appartenance sociale à adopter telle ou telle valeur, et il faut insister sur ce terme « déterminé ». Il va considérer, en effet, que les faits sociaux sont des choses et comme toutes choses dans la nature, ils obéissent à des lois. Et justement, de même que la physique détermine objectivement les lois de la nature, de même la sociologie a pour but de déterminer objectivement les lois qui regissent la vie sociale. 

De ce point de vue, Durkheim veut établir une physique des mœurs, c'est-à-dire trouver les lois qui déterminent nécessairement les manières de penser et d'agir des individus dans une société donnée. La différence entre les lois physiques et les lois morales c'est que dans les lois physiques, le rapport entre la loi et le phénomène est direct : si je chauffe un métal, il se dilate directement. En revanche, entre la loi morale et l'action morale, il y a un lien synthétique, c'est-à-dire un jugement qui fait que lorsque je n'agis pas moralement les autres vont mal me juger mais également je vais mal me juger moi même. Et donc par mon jugement et la mauvaise conscience qui en résulte, je vais me sanctionner moi même.

Autrement dit, j'ai tellement intériorisé les valeurs de la société, qu'elles vont devenir mes propres normes de jugement. Et précisément la sociologie a pour objet d'exposer ces normes de jugement, de trouver ces lois. Toute la sociologie repose donc sur un présupposé déterministe: chacun pense être libre et agir en fonction de valeurs qui lui sont propres alors que cette liberté n'est qu'une illusion et au niveau de la société tout entière, on va découvrir les lois qui sont à l'œuvre et qui déterminent chacun des individus à adopter tel ou tel comportement, à penser de telle ou telle manière. En un mot, comme n'importe quel être ou objet sur terre, les hommes sont déterminés. 

 

-          La critique kantienne du relativisme et du déterminisme

 

Critique du relativisme : Si la morale de chacun était déterminée par les valeurs de la société à laquelle il appartient, cela voudrait dire que les valeurs morales varieraient d'une société à l'autre, elles n'auraient pas de valeur en elles-mêmes. Il suffirait de changer de société pour changer de valeurs et donc s'abstraire de toute forme de devoir par rapport à la société de départ. Donc, proclamer la relativité de toutes les valeurs, c’est les relativiser voire les dévaloriser : les valeurs n'ont rien d'absolu, rien d'essentiel. Voila pourquoi, il ne faut pas leur accorder plus d'importance qu'elles n'en ont. Et donc par delà des valeurs, chacun doit chercher son intérêt. On comprend ainsi que si on s'en tient au relativisme il faut dire que les valeurs morales n'ont pas de valeur, donc ce ne sont pas des valeurs.

 

Critique du déterminisme : 

1er argument : On a dit que l’éducation donnée aux enfants était une imprégnation ou une inculcation de valeurs à travers laquelle on va conditionner les individus à penser et agir de telle ou telle façon pour pouvoir s'intégrer à la société. Pour Kant, en revanche, l'éducation n'est pas un processus de conditionnement mais doit plutôt être une libération. Eduquer un enfant, ce n’est pas l’embrigader, mais c’est lui apprendre à penser par lui-même, lui apprendre à développer sa raison. Dès lors, quelle que soit la société à laquelle j'appartiens, quelles que soient les valeurs qui me sont imposées, je dois avoir l'intelligence de pouvoir les juger. 

2eme argument : Si on est conditionné par la société à agir de telle ou telle façon sans avoir aucune liberté ni jugement possible, alors on perd toute responsabilité par rapport à ce que l’on fait. A partir du moment, en effet, où tel un objet je suis déterminé nécessairement à commettre telle action, cela signifie que je n'ai pas eu le choix, pas eu la volonté, et donc je ne peux pas être tenu responsable de ce que j'ai fait ni même être jugé moralement pour ce que j’ai fait.

Par là même, parler de déterminisme et donc nier l’idée de liberté, c’est supprimer la signification même de la morale.

CSQ : Kant va aussi bien critiquer le relativisme en insistant sur la dimension universelle de la morale universelle que le déterminisme en insistant sur la liberté humaine.

 

 

3. Morale et intérêt: Utilitarisme et conséquentialisme.

 

L'utilitarisme reprend en partie les arguments relativistes en affirmant qu'il n'y a pas une morale universelle, il n'y a pas un bien en soi, absolu, mais à la différence du relativisme, Bentham va affirmer que tout ne se vaut pas et qu'il y a certaines choses qui valent plus, et le critère déterminant entre ce qui vaut et ce qui ne vaut pas, ce sont les conséquences positives de l'action. En clair, une bonne action c'est donc une action qui dans ses conséquences, génère plus de bienfaits que de méfaits 

De ce point de vue, le bien moral n'est pas un idéal, mais c'est ce qui sert l'intérêt du plus grand nombre, l'action qui a le plus de conséquences positives. Donc, bien loin d’obéir à de grands et beaux principes irréalistes, chacun doit uniquement agir par amour de soi. Chacun doit travailler à son bonheur personnel, et ce faisant il va contribuer au bonheur de tous. Car, il va y avoir comme une forme d’harmonisation des intérêts particuliers qui fera que, bien loin d’être source de conflits, tous les intérêts particuliers vont concourir au même objectif à savoir le bonheur universel.

Pour Bentham, le bonheur est donc quelque chose de simple à définir : c’est une quantité maximale ou optimale de plaisirs. Il va, ce faisant, parler d'arithmétique des plaisirs, et être rationnel se réduira à la capacité de pouvoir calculer son intérêt, déterminer l’action qui produira le plus grand nombre de plaisir pour soi et, par voie de conséquence, pour les autres.

 

Plus précisément, Bentham va déterminer  les critères qui vont nous aider à choisir rationnellement. 

1er critère : L’intensité. Entre un plaisir intense et un plaisir faible il faut rationnellement choisir celui qui est intense.  

2e critère : La durée. Entre un plaisir qui dure longtemps et un plaisir qui ne dure pas, il faut choisir le premier. 

3e critère : La probabilité. Plus un plaisir est probable plus il faut le choisir.

4e critère : L’extension. Plus un bien profite à un grand nombre de personnes meilleur il est.

En bref, on retient donc que ce qui est moralement bon, c'est ce qui a le plus de conséquences positives mais chacun agit dans son intérêt propre par amour pour lui même et l’intérêt propre est la base de toute morale.

 

 

 

Kant ne partagerait pas ce point de vue. Pourquoi ? Parce que si on définit le bien par rapport à l'intérêt (personnel ou collectif), on va justifier des actions qui sont absolument immorales, la fin justifierait donc tous les moyens - il pourrait être moral de tuer, voler ou mentir afin d’assurer le bien du plus grand nombre. Or, pour Kant la morale ne doit pas être déterminée par l'intérêt, mais plutôt par la raison. 

 

4. Morale et religion

 

Ce qui est moral c'est ce qui est universellement bon et qui ne dépend donc pas seulement de mon intérêt. Certains auront tendance à fonder la morale sur la religion à savoir que ce qui est bon c'est ce qui respecte les préceptes de la foi. Les grandes religions, en même temps qu'elles sont des religions, sont aussi des morales. Or Kant, va critiquer ce fidéisme (la foi détermine l'action) : la morale ne repose pas sur la foi pour deux raisons.

 1ere raison : la foi est quelque chose de personnel alors que la morale doit être universelle et donc je ne peux jamais m'appuyer sur mon credo pour juger les comportements des autres. Je ne dois pas vouloir imposer ma foi aux autres et encore moins les condamner parce qu'ils ne suivraient pas ses règles. 

 

2e raison : Faire passer la religion avant la morale est un danger absolu. C'est justement cela l'obscurantisme et il nous conduit à une forme d'aveuglement dont les lumières de la raison ont précisément pour rôle de nous délivrer. Contre la foi aveugle et la superstition, Kant fait appel à la raison et la raison c'est ce qui nous éclaire. La morale ne doit être rien d'autre qu'un appel à la raison et pas à la foi, cela ne m'interdit pas de croire ou de ne pas croire mais chaque fois que ma foi m'oblige à faire quelque chose qui est contraire à la raison, je ne dois pas le faire. Kant va même aller plus loin : la vérité de la foi repose sur la morale qui est la seule véritable religion - religion naturelle - et la base de toutes les religions.

 

 

5.  Morale et conscience

 

La religion ne peut pas servir de base à la morale car certains principes religieux peuvent heurter ma conscience. Qu'est ce que la conscience ? La conscience c'est ce qui me permet de ressentir ce qui est bien et qui fait que je vais me sentir mal quand j'aurai mal agi. Pour Rousseau la conscience c'est ce sentiment qui permet de savoir ce qui est bien et ce qui est mal.

 

Or Kant va également critiquer ce point de vue. Pourquoi ? On a tendance à définir ce qui est moral comme ce qui ne heurte pas la conscience. Ce qui est immoral en revanche, c'est ce qui heurte la conscience mais ces définitions de la morale posent problème dans la mesure où la conscience est purement subjective et qu'on ne ressent absolument pas les choses de la même façon. Si la morale reposait donc uniquement sur le sentiment ou la conscience de chacun, la morale ne serait pas universelle.

 

6. Morale et intelligence/connaissance

 

 Dès lors, la morale ne va pas se fonder sur un sentiment mais sur la raison. Platon aura ainsi une conception intellectualiste de la morale : « Nul n'est méchant volontairement », ou "nul ne veut le mal". Qu'est ce qu'il veut dire par la ?

Quand on agit c'est toujours dans le but de bien faire. Le problème de celui qui agit mal c'est qu'il se trompe sur ce qui est bien mais il pense faire bien, autrement il n'agirait pas de la sorte. C'est donc la connaissance du bien qui détermine le sens de l'action et celui qui agit mal, agit par ignorance, il se trompe. Au contraire, celui qui connait le bien clairement, agira toujours moralement. Et donc la morale est fondée sur la connaissance qu'on a du bien. Voilà pourquoi plutôt que de juger ou condamner ceux qui agissent mal, il serait préférable de les éduquer pour les aider à développer leur connaissance.

 

Kant va également remettre en question ce point de vue intellectualiste car il signifie deux choses :

1. Les ignorants pourraient se passer d'agir moralement et prétexter leur ignorance. Or, la morale découle uniquement de la raison, il suffit, abstraction de son niveau d'intelligence et de la somme de ses connaissances, de réfléchir pour savoir immédiatement ce qu'on a affaire. 

2. Comme on l'a vu, la base de la morale c'est la liberté, ce qui signifie qu'on peut connaître le bien et en toute conscience décider d'agir mal, la volonté est libre, elle n'est donc pas déterminée par le bien. Si, elle le choisit, ce sera donc librement. Et donc la question morale par excellence ce sera de savoir ce qui peut rendre la volonté bonne

 

 

3) La morale kantienne

A travers cette critique des conceptions communes de la morale, on est parvenu à dissocier la question de la morale de la question du bonheur et à mettre en place l'idée que la morale devait s'appuyer sur la raison qui a pour but de rendre la volonté bonne.

La bonne volonté: l'universalité de la morale kantienne

 

Kant, dès les premières phrases des fondements de la métaphysique des moeurs, insiste sur l'idée que le principal problème pour définir la morale vient de ce qu'on la définisse uniquement à travers  la distinction entre le bien et le mal. Or, ces deux termes sont flous.

Donc pour définir la morale, Kant va faire abstraction du bien et du mal et simplement s'en tenir à la raison. Une bonne volonté ce n'est pas une volonté qui veut le bien, c'est simplement une volonté raisonnable. Dès lors, si agir moralement, c'est agir par bonne volonté, cela signifie donc que la moralité de l'action dépend du principe de l'action et non pas de ses conséquences. 

Mais si, pour être moral, il suffit d'avoir de bonnes intentions et qu'il n'y a que ces intentions qui comptent, alors n'est-ce pas un moyen facile de se donner bonne conscience sans jamais chercher à rien faire effectivement ? Par exemple, animé de toutes les meilleures intentions du monde, je voudrais bien donner de l'argent aux pauvres mais jamais je ne le fais. À ce compte, même si je suis de bonne volonté, que mes intentions sont bonnes, on ne pourrait pas dire que j'ai agi moralement puisqu'en réalité je n'ai rien fait. Dès lors, ne pourrait-on pas affirmer comme Charles Péguy, que «certes la morale kantienne a les mains propres mais le problème c'est qu'elle n'a pas de main ».


Pour répondre à cette objection, Kant insiste sur la nécessité de ne pas confondre la bonne volonté avec la simple velléité : la velléité est un simple désir, une vague envie, mais qui n'est pas suivi d'effet ; par exemple, j'aimerais bien avoir mon bac mais je ne fournis aucun effort. Bien au contraire, être réellement de bonne volonté, ce n'est pas simplement avoir le désir ou l'intention, mais c'est faire tout son possible, faire le maximum pour parvenir à ses fins; mais il peut arriver que, malgré tous les efforts fournis, on ne parvienne pas toujours à ce que l'on voulait et c'est en ce sens que Kant précise que même si la volonté ne réussit pas dans ses actions, elle n'en demeure pas moins bonne. 

Implications: 

  • L'action morale est purement intérieure, elle dépend de l'intention qui l'anime. Or, par définition cette intention inétrieur demeure cachée à l'observation. Voilà pourquoi on ne peut jamais savoir si quelqu'un a agi moralement ou pas. Donc, comme l'on s'en tient jamais qu'aux apparences extérieures de l'action, on ne peut jamais juger de la moralité de l'action d'une personne. On ne doit donc jamais juger les autres mais déjà faire l'effort soi-même de suivre sa raison pour agir moralement. 

 

  • Kant fait abstraction de tout ce qui différencie les hommes pour ne retenir que ce qu'ils ont en commun à savoir leur raison. De ce point de vue, il est contre toute forme de différentialisme. Or, aujourd'hui, on a tendance de plus en plus, à définir les valeurs par rapport à ce qui nous différencie des autres (société, origine,sexe, âge, religion, etc.); alors que, précisément, en ne retenant que la raison, Kant met en lumière ce qui nous unit essentiellement par-delà toutes nos différences. On arrive à l'idée de ce qu'on appelle la personne : la personne c'est ce par quoi je suis absolument identique aux autres c'est-à-dire d'égale dignité.
  • La raison humaine tire d'elle et d'elle seule la loi morale par réflexion c’est-à-dire que l'évidence morale est une évidence rationnelle immédiate : il suffit de réfléchir pour savoir immédiatement ce qu'on a affaire et, dans la mesure où elle est rationnelle, l'évidence morale est à la fois universelle et nécessaire comme les lois de la nature. La conséquence c'est qu'une action ne pourra être morale que si elle est universalisable.
  • Enfin, parce que je suis doué de raison, je porte en moi l'absolu ce qui fait que je ne peux pas être un objet (vendu, acheté, utilisé), que je suis un sujet libre. Comment définir plus précisément cette liberté? Le sujet raisonnable est à la fois auteur de la loi et sujet de la loi. Il est donc autonome  - auto= soi-même; nomos=loi. Dès lors, obéir à la loi morale n'est pas une entrave à la liberté puisqu'en étant auteur de cette loi, y obéir, c'est juste obéir à soi-même.

 

Le devoir: le rigorisme Kantien

 La volonté est donc bonne si et seulement si elle agit strictement en se conformant à la raison. Et la question qui se pose à présent, c'est celle de savoir pourquoi alors que nous sommes tous doués de raison, notre volonté n'est pas toujours bonne. Qu'est-ce qui fait, autrement dit, que nous n'écoutons pas toujours notre raison ? Qu'est-ce qui fait que nous n'agissons pas toujours moralement ?  Ce qui fait que notre volonté n'est pas toujours bonne, ce sont tous les obstacles qu'elle rencontre au quotidien dans la moindre de ses actions. Plus précisément, ce qui pervertit la volonté, c'est la condition même de l'homme qui, aveuglé par ses passions, ce que Kant appelle encore les inclinations pathologiques, préfère suivre ses intérêts égoïstes plutôt que d'écouter sa raison. Il faut constater que l’homme n’est pas un ange et que sa nature est double, d’un côté une nature raisonnable mais de l’autre cote une nature sensible. Autrement dit, l’homme n’agit pas spontanément moralement à cause de sa nature sensible qui va le déterminer à agir de manière égoïste pour être heureux. On ne va pas toujours suivre sa raison mais il y a une partie de notre être qui résiste et qui va même s’opposer à la loi morale et préférer poursuivre l’intérêt égoïste. Voilà pourquoi la loi morale va prendre la forme d’un commandement d’un impératif (un ordre que la raison nous donne). Kant va distinguer deux impératifs :

L’impératif hypothétique c’est celui qui est conditionné, c’est-à-dire qu’on obéit à la ‘condition de/que’, en revanche l'impératif catégorique est, quant à lui, absolu.

 

 

Grâce à ces analyses, Kant va distinguer trois types d'actions:

  •  Les actions immorales : toutes les actions où consciemment, volontairement, je désobéis à la loi morale.
  • Les actions amorales : toutes les actions qui extérieurement donne l’apparence d’être morales mais qui en fait obéissent à un impératif hypothétique : ce ne sont pas les actions qui sont accomplies par respect de la loi morale, mais juste par intérêt ou par sentiment. 

                                  - Ex1 : L'intérêt.  Le boulanger commerçant qui rend la monnaie a l’enfant, fait en apparence ce qu’il doit mais en fait il le fait pour attirer de nouveaux clients.

                                  - Ex2 : un philanthrope (quelqu’un qui aime l’humanité) qui, de lui même sans rien attendre en retour, va donner une partie de sa fortune et aider les gens n’agit pas moralement pour Kant mais seulement du fait de son amour pour les autres c'est-à-dire à cause d'un mobile pathologique (=sentiment) et non d'un mobile pratique (=raison). 

  • Les actions morales : elles obéissent à l’impératif catégorique. Ce sont les actions où j'agis par devoir c'est-à-dire par pur respect pour la loi morale. Ces actions se se reconnaissent essentiellement en tant qu'elles s'opposent à nos dispositions naturelles. Ainsi la morale de Kant fait abstraction des bons sentiments pour ne prendre en compte que le devoir, c'est-à-dire l'obéissance stricte à la loi que nous dicte la raison et c'est pour cela qu'on parle de rigorisme kantien. 

Ce faisant, l'un des principaux présupposés de la morale kantienne, c'est qu'il y a une hétérogénéité radicale entre la sensibilité et la raison. Or, il faut bien voir que si la morale va souvent à l'encontre de nos sentiments naturels, la morale de Kant n'est pas pour autant un ascétisme. Il ne s'agit pas de fuir le bonheur puisque c'est tout bonnement impossible car si les hommes cherchent le bonheur c'est que c'est une nécessité de la nature. 
Par conséquent, il n'est absolument pas question de renoncer à son bonheur mais il faut bien comprendre que le bonheur n'est pas le but premier, c'est simplement le but second. Le premier, c'est agir moralement. Autrement dit, je ne peux pas au nom de mon bonheur personnel renoncer à agir moralement c'est-à-dire renoncer à suivre la raison. En clair, quelles que soient les circonstances, la loi morale ne doit jamais passer au second plan, devenir quelque chose de secondaire, elle ne doit donc jamais être subordonnée à la règle du bonheur. 

Ainsi on arrive à l'idée que la raison en l'homme a une double finalité : 

1: la première est inconditionnée : rendre la volonté bonne. 
2: la deuxième est conditionnée : la réalisation du bonheur. 

 

Donc il est possible d'être moral sans pour autant renoncer à son bonheur mais à une condition que cette quête du bonheur ne nous détourne pas des impératifs moraux.

 

 

- Les impératifs catégoriques: Le formalisme Kantien

 

1ere formulation de l'impératif catégorique :

 

 

2eme formulation de l'impératif catégorique

 

 Conclusion

 

On a tendance à définir la morale comme ce qui nous dicte ce qui est bien et nous permet d'éviter ce qui est mal. Or le problème c’est que le bien et le mal sont des valeurs relatives dans la mesure où soit ils dépendent de la société dans laquelle on vit, soit de la religion, soit de la conscience et des sentiments de chacun. Mais dans tous ces cas, le bien et le mal nous apparaissent comme des valeurs variables, changeantes et donc, au total, floues.

Kant cherche à déterminer des critères universels de la moralité, c’est-à-dire, des critères valables pour tous les hommes abstraction faite de tout ce qui peut les différencier (âge, race, culture religion…). Or, ce que les hommes ont en commun c’est leur raison. Voilà pourquoi Kant ne va plus fonder la morale sur le bien et le mal mais uniquement sur la raison. 

Qu’est ce la raison ? C’est cette faculté qui nous permet d’échapper à notre nature sensible, de ne plus être déterminé par les lois physiques, sociologiques, biologiques mais de pouvoir nous déterminer par nous-même, de pouvoir nous fixer nos propres buts. En clair c’est parce qu’il est doué de raison que l’homme est libre, et être libre ce n'est pas faire n'importe quoi comme on le désire mais c’est avoir la faculté de se donner à soi-même ses propres lois (être autonome). 

 

Or qu’est ce qu’une loi ? En physique, par exemple, c’est un énoncé qui permet de comprendre le comportement de tous les phénomènes étudiés. La loi est a priori c'est-à-dire universelle et nécessaire. Kant va de même chercher une loi morale. Une lois qui sera donc universelle et nécessaire.

Cette loi de la raison c’est précisément ce qu’on appelle le devoir. Mais est-ce qu'il n'y a pas une contradiction à parler de devoir dans la mesure où Kant insiste en même temps sur l'idée que la base de la morale c'est la liberté? Comment une loi qui est l'expression de notre volonté peut-elle nous apparaître comme une contrainte? En fait, plutôt que de contrainte, il faut parler ici d'obligation. 

Quelle est la différence entre ces deux termes? La contrainte est toujours extérieure à soi et on y cède du fait d'une nécessité. En revanche, l'obligation vient de soi. C'est une règle que l'on se fixe à soi-même librement et à laquelle on décide de se tenir parce qu'on le veut.

Ainsi, parce que nous ne sommes pas des êtres de pure raison, mais que nous avons tendance à nous laisser aveugler par nos intérêts égoistes, nos sentiments, nous allons nous obliger à respecter la loi morale, à suivre, quelles que soient les circonstances, et quoi qu'il en coûte, les impératifs moraux. Et ces impératifs moraux, c'est ce que Kant appelle les impératifs catégoriques.

2)  Nietzsche, le renversement des valeurs

 

a) Le renversement de l'idéal ascétique

 

Nietzsche est philosophe, il reprend à son compte l’exigence philosophique à savoir penser par soi même c’est-à-dire savoir remettre en question ses préjugés, pouvoir les dépasser et donc se méfier des fausses évidences. En effet, qu’est-ce qu’un préjugé ? c’est quelque chose qui s’impose à moi comme allant de soi, et parce que ça va de soi je ne prends pas la peine de l’interroger ni de m’interroger, ce faisant, le préjugé m’aveugle dans son évidence et toute la difficulté c’est justement de sortir de cet aveuglement.

L’exigence philosophique c’est donc de sortir de cet aveuglement pour libérer la pensée. Or, Nietzsche constate que les philosophes, dans leur ensemble, n'y sont pas parvenus, qu’ils sont restés prisonniers de leurs préjugés. Ils ont cru en la morale, à la valeur du bien.


Aucun d’entre eux ne s’est jamais risqué à interroger la valeur du bien parce que le bien est toujours apparu comme la valeur des valeurs, comme une valeur absolue, et par « absolue » on entend inquestionnable, insoupçonnable. Or, par définition, ce qui est inquestionné est préjugé. Et, au lieu d’interroger ce préjugé, les philosophes, comme Kant, ont cherché à le fonder. Et Nietzsche ici va opposer fondement et origine.

Le fondement fait toujours appel à ce qui est idéal : on va fonder la morale sur la raison, sur dieu, sur quelque chose qui est parfait. Autrement dit, le fondement est par définition irréel et la conséquence c’est qu’on va opposer la perfection de cet idéal et à l’imperfection de la réalité. On va déprécier ce qui est au nom de ce qui devrait être. En clair, celui qui fonde la morale va dévaloriser la réalité au nom d’un arrière-monde idéal.

De ce point de vue, toute morale est une négation de ce qui est, plus particulièrement une négation de la vie. Pourquoi ? Car fondamentalement la morale va opposer l’âme au corps, l’esprit à la matière. Et la base de la morale c’est qu’il faut développer son âme, et s’empêcher de suivre ses pulsions, les nier. De ce point de vue, derrière chaque morale il y a un idéal ascétique, c’est-à-dire une haine voire une négation de la vie. Voilà pourquoi Nietzsche parle de pulsion de mort.

Dès lors, plutôt que de fonder la morale, Nietzsche va faire une généalogie de la morale. Il va chercher l’origine de nos valeurs. Ne pas se laisser aveugler par leur évidence mais les renverser pour faire apparaitre leur face sombre, leur côté obscur.  

 

b) La morale des faibles 

Plus précisément, la morale a toujours eu pour but d’améliorer les hommes. Qu’est-ce qu’« améliorer » ? c’est rendre meilleur c’est-à-dire au sens propre « plus » « bien ». Or, cette expression est ambiguë dans la mesure où elle assimile deux choses qui sont totalement différentes : Le plus et le bien. Or, être plus soi-même est-ce nécessairement faire le bien, être bon ? Autrement dit, agir moralement nous permet-il de nous affirmer ?

Pour répondre à cette question, il convient de revenir une nouvelle fois sur la définition de ce terme « améliorer », plus précisément, sur ce qu’il présuppose. Améliorer quelque chose, est-ce que ce n’est pas implicitement affirmer que cette chose au départ n’est pas bonne, qu’elle est même en un sens mauvais ? Donc dans sa volonté d’améliorer les hommes, la morale affirme donc que les hommes ne sont pas bons. Or, qu’est-ce qui, au point de vue moral, rend les hommes perfectibles ?

Il y a deux réponses possibles : 1. Le fait qu’ils suivent leurs pulsions animales. 2. Le fait qu’ils soient égoïstes.

 

  1. La morale veut améliorer les hommes afin qu’ils ne se laissent plus aller à suivre leurs pulsions animales. En clair, Nietzsche voit dans cette volonté d’amélioration un refus de la nature même de l’homme, un refus de sa nature animale.
  2. En outre, pourquoi ce ne serait pas bien de penser à soi, d’être égoïste ? E fait, la morale fait abstraction de l’individualité de chacun, elle nie les différences pour considérer les hommes comme un ensemble de personnes identiques.

-          Cela a deux implications: a) La morale est toujours grégaire dans le sens ou elle réduit les hommes à un troupeau. b) La morale est toujours une négation de soi parce qu’elle ne nous considère pas tel qu’on est mais elle veut qu’on se conforme au groupe. Or, si la morale est une négation de soi, comment pourrait-on dire qu’elle améliore les hommes ?

 

En conséquence, la morale, définie comme l’amélioration des hommes, n’est en fait qu’un mot. Et celui qui s’en tient à cette définition, à cette manière de parler, va se laisser abuser par le langage. Et plutôt que de s’en tenir aux mots, il vaut mieux, nous dit Nietzsche, partir de la réalité. Or, quelle est cette réalité ?

 

La réalité de la morale, ce n’est pas une amélioration. Plus précisément derrière le mot « amélioration », il y a une réalité : la domestication. Qu’est-ce que domestiquer ? C’est apprivoiser un animal, le dresser c’est-à-dire le rendre docile, obéissant, faire en sorte que l’animal cesse d’être violent, agressif, dangereux, sauvage pour le rendre inoffensif et faible.

Un homme domestiqué, cesse d’être sauvage ou violent, pour devenir bon, sage, raisonnable, mesuré. C’est l’homme vertueux qui ne fait de mal à personne, qui n’est un danger pour personne. C’est un être faible.

 

c) La mauvaise conscience :

La thése de Nietzche c’est donc que l’homme est un animal comme les autres : à l’état sauvage, l’homme est un être qui suit ses pulsions sans se poser de question. Il est pure affirmation de lui-même dans la mesure où il ne se limite jamais et va aussi loin que sa force le mène. Il faut insister sur l’idée que cet homme aime la vie et est pleinement épanoui or en le moralisant on fait en sorte qu’au lieu de s’écouter lui-même il va obéir à la loi, s’empêcher de faire ce qu’il veut par peur de mal faire. La morale s’oppose donc à l’idée de volonté et de liberté : elle rend l’homme esclave, et bien plus, elle le rend faible car elle le pousse sans cesse à se retourner contre son élan vital, à aller contre ses pulsions.

 

Lorsque l’homme, au lieu de s’affirmer, en extériorisant ses pulsions, va s’opposer à elles, cela ne les supprime pas pour autant. Bien au contraire, cette force des pulsions va se retourner, au lieu de s’extérioriser elle va s’intérioriser  et c’est ce qui donne naissance à la vie intérieure, c’est-à-dire à la conscience, la mauvaise conscience plus exactement.

 Par conséquent, au lieu d’exercer sa force, de vivre pleinement ses pulsions, l’homme va être rongé par la mauvaise conscience et va devenir incapable d’agir et d’être lui-même. La conscience n’est rien d’autre que la haine de la vie et de soi, elle nous empêche de vivre pleinement nos pulsions. Donc, pour être pleinement soi-même il faudrait ne jamais écouter sa conscience. Or si les hommes n’écoutaient pas leur conscience, et laissaient libres cours à leurs pulsions, ils ne pourraient pas vivre en société. La morale a précisément pour but de développer la conscience des hommes pour qu’ils puissent vivre en troupeau. Voilà pourquoi la morale est grégaire : Elle nous fait agir en mouton et nous fait croire que la valeur des valeurs c’est être mesuré, bien se comporter, respecter les autres. Or pour Nietzche ce sont là les valeurs d’un être faible.

Pour lui, la seule valeur c’est la force c’est-à-dire l’auto-affirmation de soi, il faut toujours chercher à être pleinement soi-même.

 

d) La volonté de puissance :

La volonté de puissance c’est l’essence même de la vie, c’est l’élan vital présent dans chaque être vivant et qui le pousse à persévérer dans son être. Tout dans la nature est déterminé par cette volonté de puissance qui a une double orientation : elle est orientée soit vers la négation soit vers l’affirmation de soi. Si elle est orientée positivement elle sera une affirmation de la vie, sinon elle devient une négation de la vie animée par une pulsion de mort.

Or, dans la mesure où toute morale nous porte en elle un idéal ascétique, toute morale est une orientation négative de la volonté de puissance. Toute morale est donc négative dans la mesure où elle nous oblige à écouter notre conscience au lieu d’exprimer pleinement nos pulsions, nos instincts. En ce sens, les valeurs morales ne sont pas affirmatrices, elles sont négatrices : elles nous empêchent d’être pleinement nous-mêmes, elles font de nous des sous-hommes, des esclaves.

e) Le nihilisme

 

Donc toute morale est animée par une pulsion de mort, par une négation de la vie. Les valeurs morales sont donc par définition essentiellement négatives. Voilà pourquoi elles sont une négation du monde qu’elles déprécient au nom d’un arrière-monde idéal ou parfait. Cette négation ultime du monde et de la vie, c’est précisément cela le nihilisme.

Qu’est ce que le nihilisme ? 

Les valeurs morales ont conduit l’homme à devenir meilleur, plus doux, plus pitoyable, moins capable de force, de courage véritable. Les valeurs nous conduisent a ce sentiment de fatigue par rapport à notre propre vie, on n’a plus le courage d’affronter notre propre vie. Au lieu d’affronter la vie , on va chercher à la comprendre. Le rationalisme socratique prolongé par l’idéalisme platonicien et les religions du livre, c’est précisément l’idée que nous pourrions maitriser le monde grâce à sa compréhension rationnelle. Or la compréhension conduit à des simplifications, elle nous conduit à nous éloigner de la complexité du réel et nous empêche d’affronter la vie elle-même.

Le Nihilisme désigne d’abord la situation contemporaine (probablement destinée à durer très longtemps) où les hommes, à force d’avoir nié la vie, sont incapables de lui donner sens : « les buts manquent ». Le Nihilisme, c’est donc l’expérience de la fatigue du sens, et il se traduit par la grande lassitude, « le grand dégoût », en l'homme, et de l'homme pour lui-même. Rien ne vaut plus, tout se vaut ; tout est dépassé, usé, vieilli, mourant. C'est une agonie indéfinie du sens, un interminable crépuscule.

Nietzsche va alors opposer deux types d’homme :

Il y a d’abord le dernier homme, c'est l’homme qui subit de plein fouet le nihilisme et qui parce qu’il est incapable de donner sens à son existence va se contenter de ne pas y penser, de ne plus penser à rien. Ce faisant, c’est le dernier homme, c’est l’homme du troupeau, ce lui qui parce qu’il est incapable de s'affirmer, va se contenter de suivre les  autres. Il a perdu toute authenticité, toute liberté mais peu lui importe tant qu’il cherche à être heureux.

Par opposition au denier homme, il y a le surhomme. C’est celui qui prend conscience de la nullité de toutes les valeurs, qui va se questionner et tout remettre en question, pour justement créer et se recréer en permanence.

f) Les trois métamorphoses du surhomme 

- La première figure du surhomme c’est le chameau.

D’une certaine manière, le chameau va renvoyer à la figure de l’homme moral, celui qui va chercher le poids le plus lourd pour justement éprouver sa force. Et rien n’est plus lourd que la loi morale. La morale est un désert sec et aride que seul un chameau peut parcourir. Le chameau sait que grâce à sa force, à sa résistance, à son endurance, il survivra. Rien ne peut l’abattre. Mais dans le désert, le chameau devient lion

-          Le lion

 

Le lion c’est la figure de l’homme qui veut conquérir la liberté, non plus éprouver sa force mais l’exercer. Celui qui ne voudra « ni Dieu ni maître ». Le lion sera la figure du combat contre toutes les valeurs, contre toutes les idoles, contre toutes les lois auxquelles il va opposer sa volonté, sa liberté. En clair, le lion c’est celui qui a la force détruire les valeurs mais qui ne peut pas en créer de nouvelles. Sa liberté est pure négation parce que s’affirmer, pour le lion, c’est simplement détruire tout ce qui s’impose à lui. Le lion c’est l’homme qui est prêt à tout abandonner pour simplement devenir lui-même.

-          L’enfant

L’enfant est la figure ultime du surhomme. Contraiement au lion qui exerce sa liberté en niant, l’enfant est pure affirmation. Il joue, passe son temps à inventer de nouvelles règles, de nouveaux jeux. C’est une roue qui roule sur elle-même. Il ne cherche pas d’autre sens à ce qu’il fait, si ce n’est d’être bien dans ce qu’il fait, d’être pleinement lui-même. En même temps qu’il joue, l’enfant s’affirme. Et si jamais une règle du jeu ne lui convient plus, il la change pour continuer à jouer. En clair, l’enfant c’est le créateur absolu dans le sens où pour lui tout dans le monde est nouveau et qu’il n’y a aucune règle qui vaut si ce n’est celle qu’il veut et au moment où il le veut.

Et donc, quels que soient les évènements qui pèsent sur lui, quel que soit le poids, les obstacles qui s’imposent à lui, qu’il soit en situation de guerre, de pauvreté, qu’il soit malade, peu importe à l’enfant, il continue à jouer, à dire oui à sa vie.

 

 

Conclusion : Le mythe de l’éternel retour

Pour nous faire comprendre ce que c’est que s’affirmer soi-même, Nietzsche va prendre le mythe de l’éternel retour. Supposons qu’un génie se présente devant nous et nous demande de faire un vœu. Untel va demander la richesse, tel autre l’amour, tel autre le succès, la gloire, le pouvoir, etc. En clair, les hommes, à travers leurs vœux, démontrent qu’ils veulent changer de vie parce qu’ils sont insatisfaits de leur vie. Autrement dit, les hommes passent leur temps à nier leur vie et à s’en plaindre.

Le surhomme, en revanche, c’est celui qui se contente de sa vie et qui demandera de la revivre infiniment telle qu’il l’a vécue, avec ses moments tristes, ses moments douloureux, ses moments de joie. Ce que je suis ce n’est rien d’autre que la vie que j’ai vécue. À moi donc de m’affirmer, de vouloir vivre ma vie, de vouloir être moi-même. Et être soi-même ce n’est pas se contenter de ce que l’on est mais c’est toujours chercher à aller au-delà de soi-même, toujours chercher à s’autodépasser.

 

 

 

 

 

 

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